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lundi, 11 avril 2022

Ma belle-mère indienne et moi...

Pour le contexte de ce post, voir la note suivante : introduction.  

Une fois n’est pas coutume, je vais parler un peu de moi et de ma relation à ma belle-famille indienne. Attention, la belle-mère… sujet sensible !

J’ai épousé mon Indien préféré en 2014, et nous avons eu un enfant dans la foulée. Depuis 2019, nous vivons dans une banlieue de Delhi. Ma belle-mère vit au Kerala, dans sa terre natale, et ma belle- sœur à Goa. Nous prenons plus souvent l’avion pour aller en France qu’au Kerala, même si la distance est triple, mais il me faut « rentrer » souvent. Mon mari a moins le sentiment d’être chez lui au Kerala que moi à Paris, en partie parce qu’il a grandi dans le nord de l’Inde et qu’il n’a pas beaucoup d’attaches dans le sud.

Avant de me marier, j’avais vécu 8 ans en Inde, dont 6 avec un autre Indien. J’avais eu le temps de m’habituer au pays et de découvrir certaines facettes de sa et ses cultures. Les deux aspects les plus différents entre l’Occident (au sens large) et l’Inde (au sens large également), selon moi, relèvent des perceptions temporelle et individuelle. D’une part, armée de mon appréhension du temps linéaire, avec un début et une fin, j’ai été exposée au temps cyclique, qui s’accompagne de vécu dans le présent, sans anticipation, sans réflexion long-terme, rien n’étant jamais tout à fait fini… D’autre part, forte d’une culture de valorisation de l’individu, j’ai découvert le concept sacré de famille au sens large, qui implique le sacrifice de la personnalité dans le microcosme familial (et qui s’accompagne souvent d’une résurgence de frustrations dans le macrocosme plus général de la société) : on vit ensemble dans la famille du mari, on obéit aux aînés, on suit les règles, on perpétue les traditions, et on se défoule sur les routes.

De fait, quand j’ai signé pour entrer dans une famille indienne, voilà ce qui me terrifiait le plus : devoir sacrifier mon indépendance à… ma belle-mère. La menace était d’autant plus réelle qu’elle était veuve. Où pouvait-elle bien vivre si ce n’est chez son fils, puisqu’en Inde, il est très mal vu de laisser des parents âgés vivre seuls ? Je la voyais s’installer chez nous, me juger, m’expliquer comment élever mon fils, etc. J’en suffoquais à l’avance. Alors, quand elle a commencé à nous rendre visite, voyageant du Kerala à Mumbai, j’ai mis mon mari dans une situation très inconfortable : j’ai exigé qu’il demande à sa mère sa date de départ. Non pas que je veuille la chasser, elle était la bienvenue le temps qu’elle voulait, mais j’avais besoin de perspective. Or, en Inde, les impondérables sont tels qu’on n’aime pas prévoir et on préfère les allers simples. Surtout à la retraite. Ce n’était pas méchant de ma part, mais ce n’était pas gentil non plus. Et puis, quand approchait la date de son départ, ni mon mari ni moi ne pensions à la retenir – il est poli, en Inde, d’insister pour que les invités prolongent leur séjour, d’où l’intérêt des allers simples. Il n’y avait guère que la nounou pour lui demander de rester un peu plus, a-t-elle sobrement observé à voix haute un beau jour.

Mais avant d’en arriver là, un incident est venu compliquer notre relation avant même que celle-ci n’en soit une. Je l’ai rencontrée une fois, juste après m’être mise en couple avec mon Indien préféré. Trois mois plus tard, nous lui annoncions notre mariage et notre grossesse ! Je ne la connaissais donc que depuis 6 mois, et ne l’avait vue qu’une seule fois, quand nous avons officialisé notre union. Et ce n’était pas encore fait que ma belle-sœur a assumé son rôle traditionnel dans la famille indienne et, au nom de sa mère, m’a demandé d’appeler cette dernière « maman ». Outre le fait que je n’ai pas compris le recours à un intermédiaire empêchant (volontairement et culturellement) de se parler directement, l’idée de l’appeler « maman » m’était intolérable. J’y ai vu la preuve qu’elle voulait tout supplanter, jusqu’à ma propre mère. Cette dernière a cherché à me convaincre d’obtempérer, mon mari a proposé des versions du mot « maman » dans plusieurs langues, mais je n’ai pas pu. Je n’ai jamais pu. Certaines étrangères y arrivent. Pas moi. J’ai réussi à vivre plusieurs mois, peut-être plusieurs années, sans avoir de « mot » pour m’adresser à elle directement, l’usage du prénom et des termes « mother-in-law » ou « auntie » (utilisé avec les aînées) étant inacceptables dans sa culture.

J’ai fini par réussir à l’appeler « mamie » (« daadi ») à défaut de « maman ». Mais ça m’a pris du temps, parce que l’attitude des grand-mères maternelles en Inde m’a toujours pétrifiée, surtout à l’arrivée de leur unique petit-fils. Dans la grande famille indienne, le bébé n’appartient à personne ou à tout le monde, surtout à la matriarche. Alors, dès la naissance, j’ai envoyé des signaux clairs pour faire savoir que j’entendais m’occuper de mon fils moi-même : pour commencer, je n’ai pas voulu d’elle à mes côtés la première nuit – son fils allait rester à la maternité, à sa plus grande stupéfaction !

À anticiper une mainmise sur mon petit dès sa naissance, je suis devenue louve. Et puis, comme pour tout dans ma vie, j’étais décidée à me débrouiller seule. Je me suis passée d’aide les 5 premiers mois (outre celle de la femme de ménage). Mais j’ai aussi réalisé qu’on n’est peut-être jamais trop à s’occuper d’un enfant et qu’il ne sert à rien d’être trop fière… Il faut quand même préciser que dans la grande famille, où les petits-enfants vivent avec les grands-parents, le rôle de ces derniers et surtout de la grand-mère, consiste à les nourrir, les baigner, les masser, les surveiller. Mais pas à « faire des choses » avec eux. L’éveil psychomoteur des tout-petits est laissé à l’environnement et ne passe pas par des jeux, des activités entre adultes et enfants. Comme ma belle-mère n’a jamais eu l’occasion de tenir le premier rôle ni l’idée de tenir le second, trouver sa place vis-à-vis de son petit-fils n’a pas été chose aisée.

Toujours est-il qu’à avoir peur que ma belle-mère ne prenne trop d’espace, je ne lui en ai presque pas donné. À craindre qu’elle ne me juge, c’est moi qui l’ai jugée, qui ai imaginé qu’elle ne pourrait jamais me comprendre, moi, ma vie, mes habitudes, ma manière d’élever mon fils. Heureusement, les années passant, tout doucement, je me suis détendue, et j’ai compris. Qu’elle m’aimait comme sa fille et souhaitait simplement que je l’aime comme une mère. Qu’elle aime passer du temps avec nous mais sans jamais empiéter sur mon « territoire ». J’ai appris à mettre de côté nos différences d’expérience de vie pour laisser parler nos cœurs – en tout cas c’est l’idée ; en pratique nous nous respectons et nous co-existons, et c’est déjà pas mal je crois. Mais je peux quand même dire que ma belle-mère, même si nous échangeons peu de mots, c’est une belle personne. Et que ça n’a pas dû être facile pour elle de voir son fils déroger aux traditions et aller à l’encontre des attentes de la société en épousant une étrangère qui est, en plus, celle qui ramène le pain à la maison.

J’ai eu l’idée de lui demander comment elle vivait la situation. Ma démarche l’a un peu surprise – l’autoréflexion et la réflexion en Inde ne sont pas des démarches valorisées – mais ce fut l’occasion de parler de notre relation. Voici ce qu’elle m’a dit, puis écrit, quand je lui ai demandé comment elle vivait d’avoir une belle-fille étrangère et un petit-fils franco-indien :

« Le 13 avril de l’année 2014 fut une journée merveilleuse pour moi… Quand mon fils m’a annoncé qu’il était (enfin !) prêt pour le mariage, j’ai été ravie d’apprendre la nouvelle, à savoir qu’une belle-fille allait rejoindre notre famille... En plus de cela, il m’a donné une autre bonne nouvelle, j’allais bientôt être grand-mère. C’était notre rêve. Quand j’ai su dire que ma future belle-fille était étrangère, je ne l’ai pas mal pris mais j’ai été inquiétée de la réaction de mon père, qui n’a jamais été un homme facile, et de ma famille. J’ai pensé que la communication serait peut-être un peu difficile, même si je parle anglais, pas couramment mais pas trop mal non plus...

Je réalise maintenant la chance que j’ai d’avoir une bru comme la mienne... En ce qui concerne mon petit-fils, au début ce n’était pas facile car nous avions très peu de complicité... Quand il avait 3-4 ans, je ne le sentais pas attaché à moi... Ça m’a fait un peu mal mais maintenant cela va très bien, il a commencé à communiquer avec moi ainsi qu’avec ma fille, sa tante paternelle... Je me sens très heureuse... Le seul problème, c’est qu’il ne peut pas manger de nourriture épicée comme le sambar que j’ai l’habitude de préparer quand la famille se réunit.

Quand je leur rends visite, je reste en général une quinzaine de jours. J’aimerais qu’ils viennent plus souvent au Kerala et surtout qu’ils restent plus que quelques jours, au moins deux-trois semaines mais je crois que ma belle-fille s’ennuie dans les longues réunions familiales où notre langue, le malayalam, domine. J’aimerais aussi vivre avec eux mais je n’aime pas la vie dans le nord de l’Inde, le froid l’hiver, et j’ai mes activités, mon cercle, dans le Kerala. Pour l’instant, j’arrive à vivre seule. On verra ensuite… »

42 Belle-mère.jpg

Ce dessin n'a rien d'une exagération. J'ai reçu un témoignage d'une jeune mariée qui se demandait si c'était normal que sa belle-mère dorme avec elle et son mari... Vos témoignages d'expérience avec une belle-mère (indienne ou pas) - dans un sens ou dans l'autre - sont les bienvenus et je serais heureuse de les publier !

lundi, 08 juin 2020

Comment appeler une belle-mère indienne?

Inde,belle-mère,bru,mamanJ’ai reçu un courrier de lectrice touchant un point épineux : comment appeler sa belle-mère indienne. Pas de pot, je suis la dernière personne à qui poser la question, je gère assez mal cette situation même si j’aime beaucoup la mienne. Alors j’ai fait un petit sondage.

Pour le contexte : en Inde, traditionnellement (en tout cas depuis plusieurs centaines d’années), la femme est une propriété qui est vendue à la belle-famille. (Le système de la dot est désormais illégal mais il est toujours bien présent.) Lors du transfert, la bru adopte sa nouvelle famille, ce qui passe parfois par un changement de prénom (suivant sa culture) et toujours par l’adoption de ses nouveaux parents qu’elle doit donc appeler papa et maman. Dans certains cas – et de plus en plus dans les familles de la classe supérieure – elle ne reverra plus ses parents. Mais dans beaucoup de cas, elle retourne quand même accoucher chez eux.

Comme le mariage est en général arrangé (dans encore plus de 90% des cas), la jeune mariée est donc censée appeler une femme qu’elle ne connaît pas « maman ». Ça ne pose aucun problème aux Indiennes, autant que je sache, c’est ancré et c’est naturel. Mais c’est une autre histoire pour les étrangères. D’autant que la discussion se passe rarement entre la bru et la belle-mère : c’est le job de la belle-sœur d’arranger ce genre de choses. Évidemment, on peut voir les choses différemment. Dès le mariage exécuté, la belle-mère adopte sa belle-fille et s’engage à l’aimer comme sa propre fille. C’est déjà plus plaisant à attendre. (Je m’arrête là sur le sujet de la belle-mère indienne mais j’ai écrit tout un chapitre dessus, dites-moi si vous en voulez plus !)

Sur 59 réponses, « Mummy » ou « Mummy-ji » (on rajouter le « ji » en Inde du nord comme signe de respect, comme dans « sir-ji » et « Amma » (plutôt du sud de l’Inde) remporte, à part égale, 40% des votes. « Mom » vient derrière avec 17%. En gros, les anglophones appellent en général leur belle-mère maman mais en utilisant un autre nom celui qu’elles utilisent pour leur propre mère. Inde,belle-mère,bru,maman

Ensuite, il y a celles qui n’arrivent pas à dépasser la barrière mentale, et qui trouvent impossible d’appeler maman quelqu’un d’autre que leur mère ; et le tour de passe-passe consistant à utiliser le même mot dans un autre langage n’y change rien. Elles représentent 15%. À table ça donne donc : « Ahem, quelqu’un pourrait me passer le sel s’il vous plaît ? » Ça pourrait être drôle si ce n’était pas un frein au développement d’une relation saine de famille et qui sait, peut-être un jour d’amour filial. En plus, il faut souvent rajouter la barrière de la langue, toutes les belles-mères indiennes ne parlant pas anglais couramment.

Dans tous les cas, l’utilisation du prénom est rarissime et à bannir, en tout cas en public. « Belle-mère » peut être toléré mais c’est assez exceptionnel. Ce qui vient souvent à la rescousse c’est les enfants : on peut alors utiliser n’importe quel terme pour grand-mère !

Pour ce qui est du beau-père, c'est le même tarif que pour la belle-mère ! Ceci étant-dit, j'entends beaucoup plus souvent des plaintes quant au fait de devoir appeler sa belle-mère "maman" qui choque plus que d'appeler son beau-père "papa". Intéressant n'est-ce pas ? Est-ce parce que les relations entre femmes sont par nature plus tendues et plus compétitives ?

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Et comment le beau-fils indien appelle-t-il ses beaux-parents ?? La réponse ici !

lundi, 10 octobre 2016

Le troisième oeil

Allez, c’est décidé, la prochaine fois j’écris sur des sujets plus sérieux que mes histoires de toilette. Je pourrai par exemple broder sur la guerre imminente entre l’Inde et le Pakistan (le premier ayant bombardé des nids des terroristes (sous la modeste appellation d’ « opérations chirurgicales » et le second déniant ces exactions), le deal de Rafales de Dassault, les disputes intestines dans les Etats du Sud pour l’eau, la folie idolâtrique pour Jayalalitha, la Chief Minister du Tamil Nadu (une alcoolique lesbienne mégalo (en tout cas de réputation) qui se cache du public depuis son hospitalisation fin Septembre), les épidémies moustiqueuses de dengue et de chikungunya, la grossesse de Karina Kapoor. Bref y en aurait des trucs à raconter…

Mais pour l’instant je préfèrerais parler des belles-mères ! Bon pas de la mienne hein, autant éviter un scandale d’Etat. (Je rigole.) Mais juste de deux scènes dont j’ai récemment été témoin. Inde,belle-mère,intimité,couple,famille,actualité

La première fois c’était chez le gynéco à Gurgaon. Une jeune femme est sortie du bureau du docteur visiblement bouleversée. Elle était suivie de son mari qui l’entraîna dans un coin un peu discret (sur lequel j’avais pleine vue, c’est pas ma faute, faudrait pas m’accuser de voyeurisme). Et là qui rapplique ? La belle-mère ! Et le beau-père qui essaye d’éloigner sa femme pour laisser un peu d’espace au couple. Et la belle-mère de revenir à la charge plusieurs fois avant de les laisser tranquilles. Mais qui va chez le gynéco avec ses beaux-parents ??? Ben pas mal d’Indiens hein… Vu que le bébé est un peu la ‘propriété’ de tout le monde, et surtout de la belle-mère…

La seconde fois c’était à l’aéroport, juste à la porte des départs. Un jeune couple en larmes (je ne fais toujours pas dans le voyeurisme, ni le sentimental), visiblement sur le point d’être séparés. Et qui supervise la scène, à moins de trente centimètres ?? (Je n’exagère même pas). La belle-mère. Plantée là, à les regarder, et la scène dure, et elle dure. Et mon mari de répondre à un de mes commentaires « mais où tu veux qu’elle aille ?? ». Ben je sais pas, si elle doit absolument les accompagner à l’aéroport, elle peut au moins aller boire un chai pour leur laisser un peu d’intimité non ? D’in-quoi ?? Ah non ça n’existe pas dans le vocabulaire indien ;)