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lundi, 05 février 2024

Carnets de Tanzanie - 6. Zanzibar

 

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Les maasaïs, guerriers devenus vendeurs de pacotille sur les plages de Zanzibar

Zanzibar… Y-a-t-il des noms plus évocateurs ? Je m’attendais presque à trouver des marchands arabes en djellaba échangeant avec leurs homologues indiens autour d’un thé. Véritable carrefour culturel et commercial depuis le début de notre ère, Zanzibar accueillit les Portugais (1503-1698), puis le Sultanat d’Oman (1698-1890) et enfin les Britanniques (1890-1963). Mais à défaut de croiser des vendeurs d’ivoire, d’épices ou d’esclaves, je rencontrai surtout des maasaïs qui avaient délaissé leurs vaches et leur savane pour vendre des bijoux sur les plages, les perles en os des bracelets désormais remplacées par des boules en plastique en provenance de Chine et surtout d’Inde – tout comme les motos, les rickshaws, le coton, le riz. Malgré tout, la capitale, Stone Town, est une ville vibrante, éclectique, qui vaut certainement le temps d’y flâner plus que je ne l’ai fait.

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Zanzibar m’évoquait aussi des plages de sable blanc et des dégradés de bleu dans la mer transparente. Et je ne fus pas déçue ! Jambiani, la plage qui nous hébergeait, nous proposait tout ça à elle toute seule. Les autres activités font rêver sur le papier : nager avec les dauphins à Kizimkazi, voir les singes Rouge Colobus dans leur seul habitat naturel au monde (la forêt de Joziani), nager avec les poissons (et les humains palmés) autour de l’île de Mnemba, voir les tortues géantes (importées des Seychelles à la fin du 19ème siècle) sur Prison Island (un ancien marché aux esclaves clandestin). Mais tout ceci peut heurter certaines valeurs, notamment chez ceux pour qui le respect de la faune prime sur le selfie. De fait, les dauphins plongent dès que les conducteurs de bateaux font sauter leurs passagers à la mer ; les singes, eux, sont plus nonchalants, laissant les touristes s’approcher de trop près, sous les encouragements des guides ; et les tortues aussi – même si elles voulaient, elles auraient de toute façon du mal à se débarrasser des importuns qui leur grimpent sur la carapace sans façons.

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Les routes sont généralement défoncées, les policiers arrêtent les touristes trois fois par jour pour leur soutirer des sous, il faut tout négocier et c’est souvent très cher pour ce que c’est. La nourriture n’est pas transcendante – pour les gourmets – mais plaira à ceux qui, comme moi, aiment la nourriture indienne mais détestent s’arracher la bouche : samosa, curry, chapati, les menus ont clairement été influencés*, le chili en moins ! Malgré tout, l’île est splendide, et une petite virée en dhow – le bateau de pêche traditionnel – est particulièrement reposante.

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* Si la présence indienne en Afrique de l’Est (Kenya, Tanzanie et Ouganda) ne date pas d’hier, pour des raisons commerciales, l’immigration massive des Indiens en Afrique de l’Est remonte à l’arrivée des Britanniques (Mangat, 1969). Cependant, les communautés originaires de l’Inde et du Pakistan ont vécu avec difficulté les premières années de l’indépendance des nouveaux Etats, lesquels ont adopté des politiques discriminatoires à leur encontre – c’est ainsi que la famille de Freddy Mercury fuit Zanzibar lors de la révolution de 1964. En Tanzanie, on a ainsi estimé à 20 000 personnes le nombre d’Indiens ayant quitté le pays à la suite des nationalisations entreprises par le gouvernement socialiste (Prunier, 1990 : 239). En 2006, les services diplomatiques de l’ambassade de l’Inde à Nairobi ont évalué à environ 45 000 personnes le nombre de personnes d’origine indienne vivant sur le sol tanzanien, soit environ la moitié du chiffre enregistré en 1967. La grande majorité d’entre elles (40 000) possèderait la nationalité tanzanienne (Nowik). Aujourd’hui, la communauté indo-pakistanaise de Tanzanie exercerait un monopole sur la vie économique du pays.

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Jambiani

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Les fermes d'algues à marée basse à Jambiani

lundi, 29 janvier 2024

Carnets de Tanzanie - 5. Mto Wa Mbu

Le lendemain de mon ascension du mont Lengaï, nous avions prévu de rejoindre l’aéroport de Kilimanjaro. N’ayant pas de véhicule personnel, et trouvant que la note d’un taxi privé était salée – même pour une région aussi saline, 300$ pour 150 kilomètres, ça fait beaucoup – nous nous retrouvâmes dans une jeep publique (15$ par personne). Etant parmi les premiers passagers à monter, nous eûmes chacun un siège. Puis un maasaï monta et s’installa sur une caisse entre mes deux hommes, scandalisant mon fils de se retrouver ainsi écrasé contre la vitre. Il migra alors sur les genoux de son père tandis que la jeep se remplissait à éclater, ce qu’il ne trouvait absolument pas drôle ! Je pleurais discrètement tant que le Lengaï fut dans mon champs de vision, et puis finalement l’anxiété céda la place au le soulagement…

Trois heures plus tard, ayant atteint Mto Wa Mbu (la rivière des moustiques en swahili), sans pitié pour mon état physique, mon Indien préféré me fit enfourcher un vélo pour nous balader dans les plantations de bananiers, au bord du lac Manyara, en bordure du parc éponyme, un temps célèbre, notamment pour ses lionnes qui grimpent dans les arbres pour échapper à la mouche tsétsé, mais désormais délaissé.

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Pédaler à Mto Wa Mbu dans les plantations de bananiers

Mto Wa Mbu,

Sur les rives du lac Manyara, un tournage

Notre fils fit un atelier auprès de peintres experts-copieurs du Tinga Tinga, un art créé par un artiste du même nom, et nous goutâmes de la bière de banane.

Mto Wa Mbu,

L'art tinga tinga, peintures acryliques

En début d’après-midi, un taxi nous conduisit en trois heures à l’aéroport de Kilimanjaro et, une heure de vol plus tard, nous étions dans la chaleur humide de Zanzibar.

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Fatigué... Je l'étais aussi, assise à côté de lui pendant que mon Indien préféré déambulait dans le marché !

lundi, 22 janvier 2024

Carnets de Tanzanie - 4. The mountain that broke me

A 23h30, mon guide et moi entamâmes l’ascension sous une nuit sans lune. J’avais retenu que nous devrions être au sommet en 3-4 heures et nous partîmes d’un bon pas. Même mon guide peu bavard me fit la remarque que la cadence était bonne. J’étais contente de le savoir parce que, malgré la fraîcheur de la nuit, je transpirais comme un veau et je peinais à rythmer ma respiration. Malgré tout, j’avançais, sur une pente que je trouvais quand même bien raide et à une vitesse bien élevée.

Une demi-heure après le départ, Osward, me demanda un mouchoir. Il me fit savoir qu’il serait derrière le buisson (« just around the bush »), ce qui doit surtout tenir de l’expression parce qu’il n’y a pas vraiment de végétation sur les flancs de ce volcan, et qu’il ne s’éloigna que de trois mètres avant de baisser son pantalon. Je me gardai bien de regarder dans sa direction, préférant me perdre dans un ciel étoilé de toute beauté. Je regardai aussi vers le sommet, mais sûrement nous n’allions pas affronter cette masse noire qui se profilait ? Il y aurait moyen de faire des zig-zags. Ou pas…

Mais je ne pus m’empêcher d’entendre ses pets, et la petite Parisienne policée qui sommeille encore un peu en moi s’offusqua. Tant pis pour elle. Nous reprîmes la marche, et comme cela arrive toujours à cheval – quand la bête de devant se met à flatuler, les autres suivent rapidement –, je me mis à avoir des gaz. Le repas ne passait pas. C’était bien ma veine.

2 heures et demi plus tard, nous atteignîmes le « premier camp » pour une grosse pause. Je pensais être presque au bout de mes peines mais mon guide refusa de me dire combien de temps il restait. C’est alors que passa un groupe qui se félicita d’avoir terminé la moitié de l’ascension. La moitié ?? Mais j’étais déjà morte moi ! J’essayai de reprendre des forces en buvant un jus et en fermant les yeux, mais, rapidement les ronflements d’Osward réveillèrent tout le monde, et nous nous reprîmes la route. Mon guide s’arrêta de nouveau pour déféquer. Ceci eut le mérite d’annihiler toute retenue quand, peu après, je me mis à vomir devant lui. Même si je déteste gerber, c’était ça ou arrêter l’ascension : mon corps n’avait pas l’énergie de digérer ET de marcher. D’habitude, je mets trois jours à me remettre d’un tel évènement gastrique. Là, je fus sur pattes au bout de trois minutes, priant pour que ce soit bien un signe de protestation de mon estomac et non pas le mal des montagnes ou bien mon cœur qui tirait trop sur la corde. Pourquoi n’abandonnai-je alors pas ? Je ne le saurai jamais… Osward attribua mes renvois au climat et ne se fit pas plus de souci que ça.

Sur la deuxième partie du trajet, la pente s’accentua, et il ne fut pas rare que je dusse me hisser à la force des bras. Quand j’atteignis le « deuxième camp » à 5 heures du matin, je me mis doucement à pleurer d’épuisement, et, transie de froid, je réussis à somnoler, ou peut-être même à m’endormir profondément. A 6 heures, il fallut se remettre en route pour une demi-heure de marche. C’est alors qu’Osward me demanda si j’avais des gants. Non pas. Des chaussettes alors ? C’est qu’à partir de maintenant, il allait falloir monter façon babouin, non plus debout mais parallèle à la paroi. Heureusement que j’étais trop fatiguée pour avoir peur, parce qu’un pied qui dévisse, et tu es probablement mort… Je fis la remarque à mon guide que ce passage était quand même un peu dingue et il me dit alors que oui. Il ajouta qu’il n’avait qu’un seul but : m’emmener au sommet. Ah. Et me ramener à la base ? Non parce que c’était bien beau tout ça, mais comment pensait-il que j’allais redescendre, hein ? J’étais à bout de forces moi…

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Quelques secondes plus tard, Osward me fit remarquer l’odeur de soufre, qui provoque apparemment des vomis chez beaucoup de randonneurs. Personnellement, me trimballant cette odeur dans la gorge et les narines depuis déjà 5 heures, ça ne me secoua pas plus que ça. Et puis, au détour d’une coulée de lave digne d’un Jules Vernes, le sommet était là, le fameux cratère en activité ! Avec mon allure escargot, j’avais loupé le lever de soleil mais le temps était nuageux de toute façon. Et je pus voir la lave noire gicler ici et là des petits monts dans le cratère. Mais je n’eus pas le temps de profiter de la vue très longtemps, parce qu’il allait falloir redescendre vite, afin d’éviter le soleil – en général, les grimpeurs sont de retour à la voiture vers 10-11 heures. Je ne dis rien mais n’en pensai pas moins : j’arriverai quand j’arriverai… si j’arriverai…

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Le cratère du mont Lengaï

Pour descendre les plaques de lave grimpées comme un singe, je dus faire l’araignée : assise sur les fesses, je prenais appui sur les mains – d’où l’utilité des gants car la roche n’est pas tendre, j’avais les mains complément griffées – et j’avançais les pieds. Puis je levais le derrière, poussais le bassin vers le bas et m’asseyais quelques centimètres plus loin. C’était marrant au début, avant que les rares muscles de mon corps qui n’avaient pas travaillé jusqu’à présent se mirent à râler.

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Et puis il y avait cette vue… Certes magnifique, avec les magiques plaines de la vallée du rift, rendues vertes par la pluie. Mais également complètement flippante : j’étais sur un à-pic, une pente vertigineuse de 80 degrés au moins, et la descente qui s’ouvrait sous mes pieds était inconcevable. (D’où l’intérêt, en plus d’éviter la chaleur, de faire l’ascension de nuit : de l’accord général, si tu voyais où tu allais, tu ne monterais certainement pas.) J’avançais néanmoins, m’arrêtant ça et là quand mes jambes me faisaient trop souffrir. J’atteignis très péniblement ) le « premier camp », sans jamais me plaindre (à haute voix), et ne laissant les larmes (d’épuisement) couler que quand j’étais seule. Il était midi. J’avais trois heures de retard. Et heureusement que les nuages étaient de la partie ce jour-là ou bien j’aurais été carbonisée.

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C’est alors qu’Osward me fit savoir :

  • Bon, maintenant, il faut accélérer le rythme et plus de pauses jusqu’à la voiture.
  • Pardon ?
  • Hein ?
  • Tu peux répéter ?
  • Maintenant, plus de pauses jusqu’à la voiture.

Sachant que le trajet depuis le parking jusqu’à ce camp nous avait pris 2h30 à l’aller, comment croyait-il que je pourrais faire tout ça sans m’arrêter ? Je ne voyais pas la fin de la pente, j’en avais marre. J’aurais plus lui cracher toute la haine que j’avais pour le volcan mais je me contentai de lui asséner :

  • Tu n’as qu’à te dépêcher de rentrer si tu veux. Et tu seras gentil d’aller trouver mon Indien préféré et de lui dire de venir me chercher. Moi je vais faire des pauses si je veux. Non mais oh.

Sur ce, mue par une colère indicible, je partis comme une flèche. En tout cas c’était l’idée. Dans la réalité, mes jambes refusèrent de me suivre et une tortue de trois cents kilos aurait rigolé de mon allure. Néanmoins mon guide comprit le message et s’élança derrière moi !

  • T’énerve pas Mama !

Si, Mama était très énervée – contre son idée stupide d’escalader cette montagne alors qu’elle était arrivée en vacances épuisée et que les derniers jours passés n’avaient pas été de tout repos, et contre son opiniâtreté qui l’avait empêchée d’abandonner à mi-chemin. Mais je ne fus pas capable de lui dire tout ça et soudain, je débranchai. Je fondis en larmes et, entre deux sanglots :

  • Mais je suis à bout de forces, moi. J’en peux plus ! Tu crois que ça m’amuse de faire des pauses ? J’ai pas kiffé une seule minute sur les douze dernières heures, je suis crevée, j’ai rien pu avaler, j’en ai marre !
  • Ok, Mama, je suis désolé, je n’avais pas conscience que ça n’allait pas. T’inquiète pas, on va y arriver. Pole pole… On va faire autant de pauses dont tu as besoin et ça va le faire.
  • Va chercher mon Indien préféré s’il te plaît…
  • Et il va faire quoi ? T’envoyer un avion ?
  • Peut-être juste une girafe pour me porter ?
  • Dis pas n’importe quoi… Tiens, regarde où est la voiture !

A travers mes larmes, je ne vis rien. Ou bien est-ce parce que ma vision d’Occidentale tient plus de celle de la poule que du faucon maasaï ? Enfin, si, il y avait des points ici et là, tous très très loin. Alors mes larmes redoublèrent. Ce fut l’une des rares fois de ma vie où je me défis de ma pudeur et que j’avouai ma faiblesse. En toute honnêteté, je n’avais aucune idée de comment continuer, mes jambes n’en pouvaient plus. J’en avais jamais chié autant, même pas pendant mon accouchement.

Osward me débarrassa alors de mon sac et j’avançais, pas à pas, en pleurant d’anxiété à chaque fois que je pensais à mon fils – que j’imaginais ne plus jamais revoir – et que je m’adressais mentalement à mon Indien préféré. Je lui faisais me dire des mots d’encouragement qu’il saurait me donner. De temps à autre, je réactivais mes données sur le téléphone, espérant capter du réseau pour l’appeler – même si je redoutais qu’il m’engueule d’être aussi bornée et de ne pas avoir fait demi-tour, je savais qu’entendre sa voix me donnerait du courage.

Avec la fatigue, je n’arrivais presque plus à ne pas glisser et le choc fut encore pire pour les genoux. J’atterris plusieurs fois sur les fesses et envisageai de rester là. Mais à chaque fois, je me relevais, et continuais, non sans envisager de finir à quatre pattes, en rampant, voire en me faisant tirer par les cheveux ou les mains. A un moment donné, Osward m’attrapa par le bras avec une force incroyable, et malgré la chiasse qui l’avait fait se vider trois fois, il me soutint. Décidément, notre duo n’était vraiment pas de choc.

Lors d’une énième pause, mon guide me fit savoir que Peter, notre chauffeur, qui m’était aussi sympathique qu’Osward m’était antipathique, venait à notre rencontre. Il ne pouvait pas le reconnaître bien sûr, mais il n’y avait pas de vaches alentour, alors ça ne pouvait pas être un maasaï en goguette. J’en pleurai de gratitude. Oh Peter ! Il offrit de me porter sur son dos mais vu comme nous dérapions, je préférai encore m’asseoir et attendre d’aller mieux…

Alors Osward et Peter me prirent chacun un bras, avec force, et me soutinrent pendant les deux heures restantes – je leur rendais parfois la pareille, les retenant quand c’était eux qui trébuchaient le long du chemin. Je m’asseyais parfois sans préavis, surtout si je croisais un petit acacia ombragé – à midi, le soleil était sorti et il brûlait fort. Je m’assis même à l’ombre d’un nuage, qui eut la cruauté de se dissiper aussitôt mes fesses au sol. Souvent, je m’allongeais dans la poussière, même si mon guide m’enjoignait à ne pas m’endormir. Mon corps risquait de se détendre. Je promettais de ne pas dormir. Une fois, je me mis à rêver, encore éveillée. Quasiment immédiatement, Osward et Peter me tirèrent manu militari pour me remettre debout, à moitié dans les vapes – ils avaient dû percevoir la secousse annonciatrice du sommeil. Peter m’encourageait, « pole pole, tara tibou, doucement doucement, slowly slowly ». Je l’aurais embrassé. En revanche, je détestais quand Osward se mettait à lui parler, rien que d’entendre sa voix me pompait de l’énergie.

Ici et là, sûre d’arrivée inconsciente, je faisais promettre à Peter d’aller chercher mon Indien préféré dès que nous serions au lodge. Et de ne pas oublier de lui dire que j’avais besoin d’eau. Car, pour ajouter à la difficulté, je n’en avais plus, et mon guide non plus. J’avais essayé de manger un pancake et des bouts de chikki pour me donner de l’énergie mais mon estomac protestait, et ce genre de nougat indien m’avait asséché le palais. Je pleurais souvent, d’épuisement et d’inquiétude. Et puis j’arrêtais, quand je n’avais même plus l’énergie de produire des larmes. Rassembler suffisamment de forces pour baisser mon pantalon et faire pipi me prit cinq heures. J’envisageai même sérieusement de m’uriner dessus, heureusement que l’envie n’était pas trop pressante. Finalement, incapable de continuer, je demandai à Peter si sa proposition de me porter tenait toujours. Très galamment il me demanda mon poids, avant d’ajouter que ce n’était pas possible. Mais je n’avais pourtant pas rêvé sa proposition !

Et puis enfin, nous étions à la voiture. Cette fois, je pleurai de soulagement. Je pleurai tellement que, allongée sur la banquette arrière, je n’arrivai pas à trouver le sommeil, malgré les 15 heures de marche, l’indigestion, le manque de sommeil, de nourriture et d’eau. Je savais que nous ne n’en trouverions pas sur notre route dans ce désert, et, ayant connu de sévères déshydratations en Inde, je paniquai un peu des conséquences.

C’est alors que la jeep s’arrêta et que j’entendis une voix familière. Mon Indien préféré était là ! Je me débattis avec la portière qui ne s’ouvrait que de l’extérieur en ne cessant de répéter « Chéri ! T’es là ? Oh chéri !!! Mais t’es vraiment là ? ». Mes yeux étaient en crue, inondant mes joues de larmes de gratitude. Il était là ! J’étais sauvée ! Il était venu à ma recherche en picki-picki, sur la moto de Willie, et il avait de l’eau. Je suis revenue à la vie en trois minutes. Envolée la fatigue des jambes… Alors que dix minutes plus tôt, j’étais persuadée que je ne pourrais plus jamais marcher et qu’il faudrait me porter de la voiture à mon lit, j’eus la force d’aller chercher mon certificat d’ascension et même de sourire pour une photo.

Arrivée au lodge, je traversai l’immense pelouse pour trouver mon fils et le serrer dans mes bras – encore en pleurant –, puis dans l’autre sens pour prendre une douche et me débarrasser de la sueur, du vomis, de l’urine – toujours en pleurant. Le lendemain, j’avais presque arrêté de pleurer quand une touriste vint me féliciter de mon exploit. Elle me demanda si ça allait, je lui dis que ça avait été horrible et que je n’aurais jamais dû me lancer dans un truc pareil. Elle me fit alors remarquer que je pouvais être fière et, dans la foulée, que la montagne m’avait cassée. Et c’est exactement ça, le Lengaï m’a cassée… En mille morceaux.

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Ol Doinyo Lengaï : la montagne de Dieu, sacrée pour les maasaïs, un lion, 2 960 mètres d’altitude, seul volcan au monde en activité à émettre de la natrocarbonatite qui confère à la lave, par ailleurs très fine, une teinte noire lorsqu’elle est en fusion et blanche quand elle refroidit. La dernière éruption eut lieu entre 2007 et 2008. L’aller-retour fait un peu plus de onze kilomètres – sur à peu près douze heures –, et on monte de 1600 mètres sur cinq kilomètres, ce qui signifie que l’on grimpe deux kilomètres à la verticale pour atteindre le sommet. Un guide, qui a éclairé le chemin pour cinquante groupes, a dû faire demi-tour dans plus de la moitié des cas (trente fois). Une Allemande qui, prise d’une panique d’attaque, refusa de descendre, dut payer 800$ pour être portée du sommet à la base par quinze hommes qui la portaient à tour de rôle, deux minutes chacun. Dieu sait si j’aurais tenté l’ascension si j’avais lu ce blog avant…