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jeudi, 02 avril 2020

Témoignage de rapatriement - Le Covid vu par une Française en Inde - 02.04

  • Nombre de cas en France : 52 128 (3 523 morts)
    • Jour de confinement : 16
  • Nombre de cas en Inde : 2 069 (50 morts)  
    • Jour de confinement à Gurgaon : 11 / National : 9

Pendant que je torticole à jeun – ça y est, je suis rentrée dans le collimateur de mon Indien préféré et je n'ai droit qu'à des jus, des infusions et des soupes –, que je regarde les tomates rougir et qu’entre deux coups de fil pros je fais faire les vitres à Samourai Junior, je voudrais partager le témoignage d’Aurélie. Aurélie est Française, mariée à un Indien et très liée à l’Inde où elle a une ONG. Je l'ai rencontrée via les réseaux sociaux, et hébergée un soir à Gurgaon, une belle rencontre. Et voilà qu’elle vient d’être rapatriée du Rajasthan à Paris (dimanche dernier). (L’ambassade de France est mobilisée à 200% à cette entreprise de taille vu que les transports inter-États sont interdits et que les avions ne partent que de 2-3 villes. Ils ont en plus du fil à retordre avec les hippies français dans leurs ashrams de Rishikesh et de Goa ne veulent pas rentrer au bercail, ou alors gratuitement, dixit un ami de l'ambassade. (Pour l’instant, il est recommandé aux résidents français en Inde de rester, sauf urgence médicale.))

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Je lui laisse le clavier :

« Ma petite Inde.

Aujourd'hui se termine mon dernier aller qui m'emmènera chez moi.

Il y a quelques jours j'ai dû te quitter.

J'ai dû te quitter d'une façon si brutale, si différente, si difficile.

Alors il était important pour moi de raconter l'histoire. J'ai attendu avant d'écrire. J'ai attendu parce que j'étais en colère j'étais en colère mais pour parler de toi, je voulais le faire avec le cœur.

Samedi, je quittais la maison, précipitamment. Des aurevoirs trop rapides, trop succincts. Tant de choses à dire, à faire, mais il faut partir.

Devant la maison, un bus.

9 étrangers que l'ambassade tente d'extraire. Je prends ce bus, un dernier Namaste et déjà les kilomètres me séparent de ma vie paisible chez toi.

Sur la route une Inde vide. Une Inde confinée. Je te découvre vide de toi mon Inde. Tes couleurs sont cachées, ta vie s'est arrêtée, tes sourires sont oubliés. Il n'y a plus l'odeur des épices dans tes rues, je n'aperçois plus la fumée de ton chai tout juste préparé.

Tu es confinée. Comme le reste du monde, apeurée.

Les kilomètres se poursuivent. Nous voilà à Jaipur.

Malgré les efforts incessants de l'ambassade pour nous mettre en sécurité. Plus d'hôtel. La nuit est tombée déjà. On patiente. Il faut trouver où loger. Un ami indien nous propose de venir chez son oncle pour la nuit. Une nuit c'est tout ce qu'on voulait avant de partir pour Delhi.

Et là, mon Inde, j'ai pleuré. Parce que rien ne s'est déroulé comme nous l'avions imaginé. J'ai pleuré parce que les voisins criaient. Les voisins nous demandaient de partir. J'ai pleuré parce que j'étais humiliée. J'ai pleuré parce que la police nous a demandé de partir. J'ai pleuré parce que notre couleur nourrissait leur peur. J'ai pleuré parce que chez toi mon Inde, je me suis sentie rejetée.

Alors j'ai pleuré. Je t'en ai voulu. J'ai été en colère.

Est-ce ça L'inde ? Rejeter celui qui t'a tant aimé. Rejeter celui qui t'est fidèle depuis des années.

Rejeter la différence,

l'humanité,

l'autre,

l'étranger.

Depuis 10 ans déjà, c'est chez toi que je me sentais chez moi. Alors que t'est-il arrivé...

Puis ma colère s'en est allée. Mes larmes ont séché.

J'ai pris le temps. Le temps de comprendre. D'analyser. D'accepter ce qui c'était passé.

Et ma petite Inde, aujourd'hui c'est à toi que je demande pardon.

Je demande pardon pour t'en avoir voulu. Je demande pardon pour avoir généralisé la bêtise et la peur d'un groupe.

Parce que la réalité ma petite Inde, c'est que dans ce périple, tu n'as jamais cessé d'être là. Cet appartement où nous avons été chassés était celui d'un enfant du pays, ce chauffeur qui nous a conduit vers Jaipur était un enfant du pays, cette guesthouse où nous nous sommes finalement réfugiés, c'est encore le sourire d'un indien qui nous accueillait.

Parce que c'est chez toi ma petite Inde, qu'à tous les coins de rues, se cachaient des mains indiennes pour nous aider, des sourires pour nous rassurer, de l'aide pour nous accompagner.

Je te demande pardon ma petite Inde parce que grâce à toi et notre ambassade, nous avons pu rentrer avant la tempête. Ce n'était pas nous que tu bloquais dans ta rue, c'est le virus que tu redoutais. Ce n'est pas à nous que tu fermais tes routes, c'était à tout mouvement.

Oui ma petite Inde, un petit groupe s'est perdu dans sa bêtise mais toi tu étais là. Encore là. À nous demander de partir parce qu'il le faut pour nous. Tu nous as demandé de rentrer mais tu as aussi demandé à tes propres enfants qui vivent loin de toi de ne pas revenir. Tu te prépares à la tempête mon Inde. Tu as tellement à gérer. Tellement à faire. Tellement de choses peuvent se passer prochainement. 

Ce virus mon inde, mais aussi les catastrophes de ce confinement sur toi ma petite Inde.

Alors pardon, pardonne moi d'avoir douté de toi.

Pardonne moi d'avoir égoïstement pleuré ma peine de te quitter quand toi tu as tout ton pays à sauver.

Merci d'être toi mon Inde, merci de nous avoir accompagné jusqu'au dernier instant. Merci pour ton aide. Merci pour tes derniers sourires, merci pour tes derniers efforts.

Je prierai pour toi, car le plus dur reste encore devant toi.

Ma petite Inde, je reviendrai.

Je t'aime et je reviendrai.

Car c'est chez toi que je me sentirai toujours chez moi. »

[Aurélie Auffray]

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Corona, coronavirus, virus, covid, covid-19, Inde

vendredi, 29 février 2008

Et moi et moi et moi

"Quand on est dans la merde jusqu'au cou, il ne reste plus qu'à chanter..." Alors voilà un petit délire en chanson... Chanson_Et moi et moi et moi.pdf

Mille deux cent millions d’Indiens
Et moi, et moi, et moi
Avec les vaches, les singes et les chiens
Mon mal de tête, ma turista

J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Sept cent millions d'Hindous
Et moi, et moi, et moi
Avec 300 000 dieux, Shiva, Vishnou,

J’rigole, j’ai pas la foi

J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Cent cinquante millions de Musulmans
Et moi, et moi, et moi
Je rends les r’gards insolemment

Constamment épiée, sans foi ni loi

J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Vingt millions de Sikhs enturbannés
Et moi, et moi, et moi
Avec mes jupes, mes décolletés

Je fais scandale et crée d‘l’émoi

J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Vingt millions de Chrétiens
Et moi, et moi, et moi
A tous ces enfants qui tendent la main

J’donne rien et me d’mande pourquoi

J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Trois millions de fidèles jaïns
Et moi, et moi, et moi
J’avale ma Savarine
Et bute les moustiques, c’est mon choix
J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Cinq cent millions de crève-la-faim*
Et moi, et moi, et moi
Avec mon régime non-végétarien
Mon Nutella, mes Barilla et ma Badoit
J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Cinquante millions de campeurs**
Et moi, et moi, et moi
J'me plains de la chaleur

Dans mon appart immense, mes draps en soie
J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Cent trente millions d’intouchables***
Et moi, et moi, et moi
On me touche c’est insupportable,

Avec ma peau blanche, je suis le roi
J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Quatre cent millions d’hindiphones
Et moi, et moi, et moi
En plus des 18 langues officielles autochtones

J’lutte avec mon anglais et mon patois

J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Vingt millions d’INR****
Et moi, et moi, et moi
Avec mon visa c’est la galère

Ils sont partis, j’les comprends parfois

J'y pense et puis j'oublie
C'est la vie, c'est la vie

Presque dix-mille expatriés Français
Et moi, et moi, et moi
J’les regarde, amusée,

Essayer d’inculquer leurs valeurs de Gaulois

J'y pense et puis… on m'oublie !
C'est la vie, c'est la vie

* Estimation selon la définition de la Banque Mondiale : 1 US$ par jour (700 millions avec 2 US$)

** Estimation du nombre de personnes vivant en habitat précaire, dans les slums (bidonvilles)

*** Estimation de Nicolas Boulet, Dans la peau d’un Intouchable

**** Indiens Non Résidents (puisque la double nationalité n’existe pas en Inde)

mardi, 26 février 2008

Toi l'expat qui sans façon...

Aujourd'hui: des extraits de Fous de l'Inde de Régis Airault. Pour voir si les gens qui vivent en Inde s'y reconnaissent. En prime, la photo d'une "simple scène" qui m'émeut beaucoup.

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 Ces impressions contradictoires, ces sentiments opposés qui cohabitent à la minute et vous « remuent les émotions », c’est ça l’Inde. Voir sortir de la boue, dans le pire des bidonvilles, un homme vêtu de blanc, d’un blanc immaculé, là où en cinq minutes on serait noir de la tête aux pieds, c’est ça l’Inde : la pureté qui pousse sur l’abject. La vie, la mort juxtaposées. On est soudain envahi par des émotions intenses qui nous submergent, nous inondent : de simples scènes de la vie rurale, une démarche, une gestuelle, une femme qui remet son sari ou qui embrasse son enfant. Ce moment-mouvement est empreint d’éternité et semble venir de la nuit des temps. Car en Inde, comme dit Malraux, « tout geste est rituel et toute parole incantatoire ». La minute d’après, cependant, on peut basculer dans l’horreur, l’insupportable, l’insoutenable. C’est la même chose au niveau relationnel. On passe d’un état de grâce (tout le monde est gentil, attentionné, tranquille) à des énervements incroyables pour rien (par exemple, à l’hôtel, un verre d’eau que l’on attend pendant des heures).

                Cette hypersensibilité est accentuée par les problèmes physiologiques dus à la chaleur, comme la déshydratation ou la perte de sels minéraux. Il suffisait parfois que je prescrive des sels minéraux indiens (Electral) à des patients pour que leur anxiété, leur fébrilité tombe d’un coup. Il ne faut pas négliger le rôle d’une alimentation chaotique. […] Sans oublier les problèmes classiques intestinaux, auxquels peuvent s’ajouter d’autres pathologies tropicales. « Les intestins, ça vous travaille aussi la tronche », me disait une patiente qui craquait.

                Par ailleurs, même si on est confronté à des choses très fortes, on reste la plupart du temps à la surface, car on n’a pas les clés de cette culture : et même la langue ne nous « parle » pas. On peut y mettre ainsi toutes nos projections. C’est comme si l’on contemplait un tableau et que soudain on se faisait happer, on basculait dans le réel de cette représentation. Certains passent au travers du miroir et s’immergent dans cette réalité indienne. Cela ne les laisse pas indifférents, bien au contraire, et peut déclencher angoisse et culpabilité.

Cette place « à côté » a le mérite d’exister. On ne demande pas au nouveau venu de se plier à un mode de vie, un idéal ou une idéologie, mais de s’organiser dans son propre groupe afin de pouvoir fonctionner dans ce pays qui accepte tout le monde, toutes les idées – tous les concepts peuvent y batifoler – et à toutes les religions. L’Inde est un territoire à la fois poreux et totalement étanche. L’intégration y est impossible : tout ce qu’on peut faire, c’est se juxtaposer. Pourtant, tout semble fuir, s’interpénétrer, jusqu’aux idées, jusqu’à l’intime. Dans les contacts avec les Indiens, on se sent deviné, testé, palpé intérieurement et la seule façon d’obtenir le respect de l’autre consiste à faire le calme au plus profond de soi. Cette absence de limites, cette non-résistance de l’Inde à l’envahisseur explique que le nouveau venu soit dissout, assimilé.

                La majeure partie [des expatriés] rejette le pays en bloc. Ceux qui ont fait le choix d’être là présentent eux aussi des moments dépressifs qui semblent être inévitables après quelques années passées dans ce pays « qui vous ronge l’âme et vous suce la moelle des reins […] et après une « lune de miel » la force vous manque vite […] cela ne dure que tant qu’agit l’énergie apportée d’Europe […] l’Européen est en quelque sorte arraché à son être […] Tôt ou tard, chacun reçoit le coup fatal : les uns boivent, les autres fument de l’opium, d’autres ne pensent qu’à donner des coups et deviennent des brutes ; de toute façon chacun contracte sa folie. On a la nostalgie de l’Europe […] mais on sait qu’en Europe on est oublié, inconnu. C’est ainsi que l’on reste ». [Stefan Zweig, Amok, 1998] […]

                Face à la foule, à la densité, à la surpopulation des villes, et sur certaines routes, c’est un fantasme fréquent – l’Inde, répétons-le, est un pays où les Occidentaux s’énervent facilement – que de vouloir « en écraser quelques-uns ». […]

                Les « délires » des résidents sont beaucoup plus modestes, avec au premier plan une surestimation d’eux-mêmes et un sentiment d’ennui. « L’ennui, ici, c’est un sentiment d’abandon colossal, à la hauteur de l’Inde elle-même, ce pays donne le ton. » [M. Duras, Le vice-consul, 1966] Ces difficultés d’adaptation des expatriés est souvent à mettre en relation avec le climat, les problèmes relationnels avec les « locaux », et la fuite en avant dans le travail : comment ne pas craquer quand on passe six jours sur sept au bureau, sans prendre de week-ends ou de vacances, sauf pour fuir l’Inde, dont on n’appréhende que le côté sordide et administratif ? Certains sombrent peu à peu dans une dépression « légitime », l’Inde devenant un « objet poubelle » opposé au « sujet occidental parfait » [P. Dubor].