Témoignage de rapatriement - Le Covid vu par une Française en Inde - 02.04 (jeudi, 02 avril 2020)

Pendant que je torticole à jeun – ça y est, je suis rentrée dans le collimateur de mon Indien préféré et je n'ai droit qu'à des jus, des infusions et des soupes –, que je regarde les tomates rougir et qu’entre deux coups de fil pros je fais faire les vitres à Samourai Junior, je voudrais partager le témoignage d’Aurélie. Aurélie est Française, mariée à un Indien et très liée à l’Inde où elle a une ONG. Je l'ai rencontrée via les réseaux sociaux, et hébergée un soir à Gurgaon, une belle rencontre. Et voilà qu’elle vient d’être rapatriée du Rajasthan à Paris (dimanche dernier). (L’ambassade de France est mobilisée à 200% à cette entreprise de taille vu que les transports inter-États sont interdits et que les avions ne partent que de 2-3 villes. Ils ont en plus du fil à retordre avec les hippies français dans leurs ashrams de Rishikesh et de Goa ne veulent pas rentrer au bercail, ou alors gratuitement, dixit un ami de l'ambassade. (Pour l’instant, il est recommandé aux résidents français en Inde de rester, sauf urgence médicale.))

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Je lui laisse le clavier :

« Ma petite Inde.

Aujourd'hui se termine mon dernier aller qui m'emmènera chez moi.

Il y a quelques jours j'ai dû te quitter.

J'ai dû te quitter d'une façon si brutale, si différente, si difficile.

Alors il était important pour moi de raconter l'histoire. J'ai attendu avant d'écrire. J'ai attendu parce que j'étais en colère j'étais en colère mais pour parler de toi, je voulais le faire avec le cœur.

Samedi, je quittais la maison, précipitamment. Des aurevoirs trop rapides, trop succincts. Tant de choses à dire, à faire, mais il faut partir.

Devant la maison, un bus.

9 étrangers que l'ambassade tente d'extraire. Je prends ce bus, un dernier Namaste et déjà les kilomètres me séparent de ma vie paisible chez toi.

Sur la route une Inde vide. Une Inde confinée. Je te découvre vide de toi mon Inde. Tes couleurs sont cachées, ta vie s'est arrêtée, tes sourires sont oubliés. Il n'y a plus l'odeur des épices dans tes rues, je n'aperçois plus la fumée de ton chai tout juste préparé.

Tu es confinée. Comme le reste du monde, apeurée.

Les kilomètres se poursuivent. Nous voilà à Jaipur.

Malgré les efforts incessants de l'ambassade pour nous mettre en sécurité. Plus d'hôtel. La nuit est tombée déjà. On patiente. Il faut trouver où loger. Un ami indien nous propose de venir chez son oncle pour la nuit. Une nuit c'est tout ce qu'on voulait avant de partir pour Delhi.

Et là, mon Inde, j'ai pleuré. Parce que rien ne s'est déroulé comme nous l'avions imaginé. J'ai pleuré parce que les voisins criaient. Les voisins nous demandaient de partir. J'ai pleuré parce que j'étais humiliée. J'ai pleuré parce que la police nous a demandé de partir. J'ai pleuré parce que notre couleur nourrissait leur peur. J'ai pleuré parce que chez toi mon Inde, je me suis sentie rejetée.

Alors j'ai pleuré. Je t'en ai voulu. J'ai été en colère.

Est-ce ça L'inde ? Rejeter celui qui t'a tant aimé. Rejeter celui qui t'est fidèle depuis des années.

Rejeter la différence,

l'humanité,

l'autre,

l'étranger.

Depuis 10 ans déjà, c'est chez toi que je me sentais chez moi. Alors que t'est-il arrivé...

Puis ma colère s'en est allée. Mes larmes ont séché.

J'ai pris le temps. Le temps de comprendre. D'analyser. D'accepter ce qui c'était passé.

Et ma petite Inde, aujourd'hui c'est à toi que je demande pardon.

Je demande pardon pour t'en avoir voulu. Je demande pardon pour avoir généralisé la bêtise et la peur d'un groupe.

Parce que la réalité ma petite Inde, c'est que dans ce périple, tu n'as jamais cessé d'être là. Cet appartement où nous avons été chassés était celui d'un enfant du pays, ce chauffeur qui nous a conduit vers Jaipur était un enfant du pays, cette guesthouse où nous nous sommes finalement réfugiés, c'est encore le sourire d'un indien qui nous accueillait.

Parce que c'est chez toi ma petite Inde, qu'à tous les coins de rues, se cachaient des mains indiennes pour nous aider, des sourires pour nous rassurer, de l'aide pour nous accompagner.

Je te demande pardon ma petite Inde parce que grâce à toi et notre ambassade, nous avons pu rentrer avant la tempête. Ce n'était pas nous que tu bloquais dans ta rue, c'est le virus que tu redoutais. Ce n'est pas à nous que tu fermais tes routes, c'était à tout mouvement.

Oui ma petite Inde, un petit groupe s'est perdu dans sa bêtise mais toi tu étais là. Encore là. À nous demander de partir parce qu'il le faut pour nous. Tu nous as demandé de rentrer mais tu as aussi demandé à tes propres enfants qui vivent loin de toi de ne pas revenir. Tu te prépares à la tempête mon Inde. Tu as tellement à gérer. Tellement à faire. Tellement de choses peuvent se passer prochainement. 

Ce virus mon inde, mais aussi les catastrophes de ce confinement sur toi ma petite Inde.

Alors pardon, pardonne moi d'avoir douté de toi.

Pardonne moi d'avoir égoïstement pleuré ma peine de te quitter quand toi tu as tout ton pays à sauver.

Merci d'être toi mon Inde, merci de nous avoir accompagné jusqu'au dernier instant. Merci pour ton aide. Merci pour tes derniers sourires, merci pour tes derniers efforts.

Je prierai pour toi, car le plus dur reste encore devant toi.

Ma petite Inde, je reviendrai.

Je t'aime et je reviendrai.

Car c'est chez toi que je me sentirai toujours chez moi. »

[Aurélie Auffray]

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08:00 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : inde, corona, coronavirus, virus, covid, épidémie, rapatriement, expatriés, français |  Imprimer |  Facebook |