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mardi, 26 février 2008

Toi l'expat qui sans façon...

Aujourd'hui: des extraits de Fous de l'Inde de Régis Airault. Pour voir si les gens qui vivent en Inde s'y reconnaissent. En prime, la photo d'une "simple scène" qui m'émeut beaucoup.

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 Ces impressions contradictoires, ces sentiments opposés qui cohabitent à la minute et vous « remuent les émotions », c’est ça l’Inde. Voir sortir de la boue, dans le pire des bidonvilles, un homme vêtu de blanc, d’un blanc immaculé, là où en cinq minutes on serait noir de la tête aux pieds, c’est ça l’Inde : la pureté qui pousse sur l’abject. La vie, la mort juxtaposées. On est soudain envahi par des émotions intenses qui nous submergent, nous inondent : de simples scènes de la vie rurale, une démarche, une gestuelle, une femme qui remet son sari ou qui embrasse son enfant. Ce moment-mouvement est empreint d’éternité et semble venir de la nuit des temps. Car en Inde, comme dit Malraux, « tout geste est rituel et toute parole incantatoire ». La minute d’après, cependant, on peut basculer dans l’horreur, l’insupportable, l’insoutenable. C’est la même chose au niveau relationnel. On passe d’un état de grâce (tout le monde est gentil, attentionné, tranquille) à des énervements incroyables pour rien (par exemple, à l’hôtel, un verre d’eau que l’on attend pendant des heures).

                Cette hypersensibilité est accentuée par les problèmes physiologiques dus à la chaleur, comme la déshydratation ou la perte de sels minéraux. Il suffisait parfois que je prescrive des sels minéraux indiens (Electral) à des patients pour que leur anxiété, leur fébrilité tombe d’un coup. Il ne faut pas négliger le rôle d’une alimentation chaotique. […] Sans oublier les problèmes classiques intestinaux, auxquels peuvent s’ajouter d’autres pathologies tropicales. « Les intestins, ça vous travaille aussi la tronche », me disait une patiente qui craquait.

                Par ailleurs, même si on est confronté à des choses très fortes, on reste la plupart du temps à la surface, car on n’a pas les clés de cette culture : et même la langue ne nous « parle » pas. On peut y mettre ainsi toutes nos projections. C’est comme si l’on contemplait un tableau et que soudain on se faisait happer, on basculait dans le réel de cette représentation. Certains passent au travers du miroir et s’immergent dans cette réalité indienne. Cela ne les laisse pas indifférents, bien au contraire, et peut déclencher angoisse et culpabilité.

Cette place « à côté » a le mérite d’exister. On ne demande pas au nouveau venu de se plier à un mode de vie, un idéal ou une idéologie, mais de s’organiser dans son propre groupe afin de pouvoir fonctionner dans ce pays qui accepte tout le monde, toutes les idées – tous les concepts peuvent y batifoler – et à toutes les religions. L’Inde est un territoire à la fois poreux et totalement étanche. L’intégration y est impossible : tout ce qu’on peut faire, c’est se juxtaposer. Pourtant, tout semble fuir, s’interpénétrer, jusqu’aux idées, jusqu’à l’intime. Dans les contacts avec les Indiens, on se sent deviné, testé, palpé intérieurement et la seule façon d’obtenir le respect de l’autre consiste à faire le calme au plus profond de soi. Cette absence de limites, cette non-résistance de l’Inde à l’envahisseur explique que le nouveau venu soit dissout, assimilé.

                La majeure partie [des expatriés] rejette le pays en bloc. Ceux qui ont fait le choix d’être là présentent eux aussi des moments dépressifs qui semblent être inévitables après quelques années passées dans ce pays « qui vous ronge l’âme et vous suce la moelle des reins […] et après une « lune de miel » la force vous manque vite […] cela ne dure que tant qu’agit l’énergie apportée d’Europe […] l’Européen est en quelque sorte arraché à son être […] Tôt ou tard, chacun reçoit le coup fatal : les uns boivent, les autres fument de l’opium, d’autres ne pensent qu’à donner des coups et deviennent des brutes ; de toute façon chacun contracte sa folie. On a la nostalgie de l’Europe […] mais on sait qu’en Europe on est oublié, inconnu. C’est ainsi que l’on reste ». [Stefan Zweig, Amok, 1998] […]

                Face à la foule, à la densité, à la surpopulation des villes, et sur certaines routes, c’est un fantasme fréquent – l’Inde, répétons-le, est un pays où les Occidentaux s’énervent facilement – que de vouloir « en écraser quelques-uns ». […]

                Les « délires » des résidents sont beaucoup plus modestes, avec au premier plan une surestimation d’eux-mêmes et un sentiment d’ennui. « L’ennui, ici, c’est un sentiment d’abandon colossal, à la hauteur de l’Inde elle-même, ce pays donne le ton. » [M. Duras, Le vice-consul, 1966] Ces difficultés d’adaptation des expatriés est souvent à mettre en relation avec le climat, les problèmes relationnels avec les « locaux », et la fuite en avant dans le travail : comment ne pas craquer quand on passe six jours sur sept au bureau, sans prendre de week-ends ou de vacances, sauf pour fuir l’Inde, dont on n’appréhende que le côté sordide et administratif ? Certains sombrent peu à peu dans une dépression « légitime », l’Inde devenant un « objet poubelle » opposé au « sujet occidental parfait » [P. Dubor].

Commentaires

Bonjour,

Toujours tres agreable a lire, aere et empreint de verite. Je dois faire partie des expats qui s'enervent, il faut dire que je m'enervais aussi en france donc l'Inde ne m'a pas encore apporte la sagesse et le recul sur nos vies de nantis.

Si je puis apporter mon analyse, pour toute expatriation, il y a plusieurs phases, le debut, c'est la joie, la decouverte, les deconvenues et puis on a pas conscience que ce ne sont pas des vacances, on pense au temporaire.

A partir du 6eme mois (en fonction des personnes) on commence a deprimer, a ressentir le mal du pays... on remonte la pente et on pense etre enfin sorti du gouffre.. une nouvelle vie en Inde.

En fait non, la grosse depression arrive apres, on a bien conscience qu'on est la pour au minimun 2 ans et qu'en france nous sommes sinon oublie, du moins sortis de la vie de nos proches, on nous envie mais en fait on envie nos vacances, cad le debut du voyage...

Je dis peut-etre ca car j'aborde les 6 mois et que je vais repasser en france dans un mois donc je compte les jours, c'est pas bien mais peu pas m'en empecher. Comment se passera le retour en Inde ?

en tout cas merci pour ton billet, vraiment tres agreable a lire.

A++
Alex

Écrit par : alex | jeudi, 28 février 2008

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