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vendredi, 24 janvier 2014

Faire la queue? Mais quelle queue??

Tout a commencé par une question innocemment posée au petit-déjeuner par mon nouvel Indien préféré : « Dis, tous les Français sont aussi proches de leur famille que toi ? Non, je me demandais, parce qu’on dit que les Occidentaux sont individualistes, tu sais, alors là ça colle pas trop… » 

Et paf prends ça dans la tronche ! Il m’a fallu beaucoup de sang froid pour ne pas monter sur mes grands chevaux et patiemment écouter ses explications du concept indien de la famille qui prime sur l’individu.  

 

En revanche je l’ai pas loupé quelques semaines plus tard, avec un smash du tonnerre : « La prochaine fois que tu me sors que les Occidentaux sont individualistes (par opposition aux Indiens), je t’envoie faire la queue pour le screening des bagages avec les gonzesses, non mais oh ! »  

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On a tous vécu ça en Inde, et des paquets de fois, et à divers niveaux… Tu fais la queue pour poser ton sac sur le tapis et une Indienne, puis une autre Indienne, sans se concerter, te passent devant… L’air de rien…  

Oui ça, c’est du quotidien. Sauf que cette fois-ci, pour aider les autres qui se faisaient griller en sourcillant mais sans oser rien dire, j’ai utilisé mon corps pour barrer l’accès au tapis et là paf ! une Indienne qui balance son sac par-dessus mon épaule !! Le militaire de la sécurité a eu la bonté de faire la police avant que ça dégénère en coups de sacs à main dans la queue…  

 

Donc là tu t’interroges quand même. Des connards qui voient une file d’attente et la grillent y en a partout – les Français ont même une sacrée réputation d’experts en fraude de queue ! Mais là ?? C’est pas le comportement du connard-grilleur-de-queue mais alors quoi ? 

Une explication plausible à ce comportement fréquent en Inde serait l’effet de la demande qui est supérieure à l’offre pour quasiment tout en Inde, notamment à cause de la surpopulation urbaine : il faut se battre un peu pour tout. Par exemple, pas question de faire la queue pour entrer dans un train local à Mumbai, sinon tu peux y passer la nuit. Il est davantage recommandé d’écraser ses voisins. M’enfin bon à l’aéroport ça ne tient pas trop… 

Je me demandais avec beaucoup de curiosité ce qui se passe dans la tête de ces bonnes femmes qui VOIENT des gens attendre en ligne et l’ignorent tout bonnement. Et voilà que mon Indien préféré m’explique que c’est tout con :  

-       Elles doivent avoir des choses à faire à destination et sont pressées d’y arriver. 

-       Mais moi aussi j’ai des choses à faire, elles y pensent pas à ça ? 

-       Et bien elles doivent présupposer que ce qu’elles ont à faire, et donc leur vol, est plus important que le tien.  

 

Et booooom ! C’est qui les individualistes hein mon chéri ??? Voilà, c'est chacun pour sa peau, et un peu partout dans le monde pareil... 

 

Nous avons finalement creusé le sujet plus avant. Il en ressort que Indiens et Français ont probablement le même attachement à leur famille.  

En France, nous sommes « individualistes » dans le sens où nous sommes en quête de notre bonheur personnel – notre personne vient avant la société ; mais n’est-ce pas une condition nécessaire pour pouvoir rendre nos proches heureux ? Et Dieu sait si cette quête individuelle du bonheur n’est pas aisée… C’est ainsi qu’à dix-huit ans nous quittons le domicile familial pour aller creuser notre sillon et construire notre propre nid. Ce n’est pas une fuite des responsabilités (comme c’est perçu ici), bien au contraire. 

 

En Inde, c'est plus une question d'ordre (religieux, social, familial) – le respect de cet ordre semble être ce qui les rend heureux (ou en tout cas pas coupable de faire un choix qui peut render les autres (la famille) malheureux ! C’est ainsi qu’ils vivent toute leur vie avec leurs parents et que passé l’âge d’or de l’enfance, ils doivent travailler à repayer leurs parents pour tout ce qu’ils ont fait pour eux. Mais ça ne leur coûte pas parce que leurs enfants feront pareil ! Et c'est ainsi que les Indiens savent à l'avance ce qu'ils vont étudier, à quel age ils vont commencer à travailler, à quel age ils vont se marier etc. Même si tous ne suivent pas ce système évidemment...

 

L’argument « massue » (qu’ils croient) des Indiens pour défendre leur système c’est les taux de divorces et l’abandon des vieux dans les maisons de retraite en Occident. Signes, pour eux, que la famille ne signifie rien pour nous… 

 

Prenons les statistiques en France. Si la moitié des mariages finissent en divorce, c’est majoritairement à la demande de la femme, et surtout de la femme active (1). Un signe que les femmes en gagnant en indépendance accepteraient moins de conneries ? Loin de moi l’idée de faire l’apologie du divorce qui, à mon avis, reste une expérience traumatisante, même si de plus en plus banalisée. Mais si c’est un mal pour un bien, et que les femmes sont plus heureuses alors… Et puis de toute façon c’est comme ça ! En conclusion, c’est pas tant que la famille ne compte pas pour nous, c’est surtout que le concept de la cellule familiale évolue… Pour nous, un couple qui vit sans être mariés c’est une famille. En Inde c’est un crime (enfin ca l'était jusqu’en 2010 (2)). Mais ça change, tout doucement, à l’allure de « l’éléphant indien » (dont l’économie se développe lentement mais sûrement, entraînant ses changements sociétaux…) (3). 

 

Et en ce qui concerne les vieux, si s’en débarrasser en les envoyant dans des mouroirs n’a rien de glorieux, toutes les maisons de retraite ne sont pas les mêmes et finalement peu de retraités vivent dans un tel établissement – parmi les 75-79 ans, seulement 3 % vivent dans un établissement pour personnes âgées en France (4). Et de fait, le nombre d’établissements où les vieux se retrouvent dans un endroit adapté à leurs mouvements, avec une assistance médicale, des activités et des copains explose en Inde (5). Je suis toujours sidérée quand mes amis indiens me content qui vit dans leur foyer et mentionne un grand-père quasiment invalide qui reste parqué dans sa chambre toute la journée et dont la charge incombe à un membre de la famille (sans qualification médicale).  

 

 

(1) En France, en 2011, 44,7% des mariages finissent en divorce. Dans 3 cas sur 4, le demandeur du divorce est la femme et 68% des femmes qui divorcent ont une activité professionnelle. Le type de divorce en France a été également fortement modifié : les divorces par consentement mutuel ont atteint 54% en 2010. Source : http://www.planetoscope.com/lamour/1062-nombre-de-nouveaux-divorces-en-france.html; statistiques mondiales et fun facts : http://www.huffingtonpost.com/2012/06/01/divorce-rate-how-well-do-_n_1562900.html 

(2) http://www.liveintogether.com/live-in-laws-India.asp  

(3) http://www.huffingtonpost.com/2011/04/12/india-divorce-rate-rise_n_848201.html  

(4) Parmi les 90- 99 ans, 22% des hommes et 37% des femmes vivent dans un établissement pour personnes âgées. Source : http://www.lesmaisonsderetraite.fr/maisons-de-retraite/chiffres-statistiques.htm 

(5) http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-india-23176206 

samedi, 23 août 2008

Vieillir en Inde

Je rebondis sur mon article précédent pour parler de la durée de vie en Inde, que le recordman a plus que doublé…

L’Inde est un pays qui vieillit – et la situation devient préoccupante. D’aucuns s’insurgeront : « 35% de la population a moins de 15 ans ! ». Et pourtant…Les Nations Unies définissent comme vieillissant un pays où la proportion de personnes de plus de 60 ans atteint les 7%. Dans ce sens, l’Inde est donc un pays vieillissant puisqu’elle a tout juste dépassé ce seuil.

 

NB : Durée de vie moyenne dans le monde en 2000 (Source : geography.about.com) :

Inde                       62.5 ans

Andorra                83.5 ans (la plus élevée)

France                   78.8 ans

Zambia                   37.2 ans (la plus faible)

Japan                     80.7 ans

 

Dans le monde, aujourd’hui, une personne sur 10 a plus de 60 ans et une personne sur 5 aura plus de 60 ans d’ici 2050. 70% des personnes âgées souffrent soit d’absence de famille soit de soins (source : rapport du programme des Nations Unies sur le vieillissement sur un.org/ageing).

L’Inde, 2ème pays le plus peuplé, avec 15% de la population mondiale, bénéficie, comme les autres, des développements de la science et de la technologie. Résultat : en 1991, on comptait 60 millions de personnes âgées, soit 6,7% de la population ; et en 2001 le chiffre était passé à 77 millions (prévision : 137 millions en 2021 : 12,6% en 2025).

Si la population âgée de la France a mis 120 ans pour doubler, ça n’a pris que 25 ans pour la population indienne!

 

J’ai fait bondir une Indienne d’indignation en lui expliquant qu’en France on les mettait en général dans des maisons de retraite. Ah, belle réaction ! Mais en Inde aussi ce genre de maison se développe – non pas que ce soit forcément une bonne chose. Dans le même registre, un jour que je demandais à Shiv ce que sa mère ferait si son père décédait, j’ai eu droit à une de ses têtes ! Ben évidemment qu’elle viendrait vivre avec nous… Evidemment.

 

En Inde, traditionnellement, c’est la famille qui s’occupe de ses vieux.

Le très révéré sage Manu a décrit les 4 stades de la vie : 1. brahmacharya ou le célibat ; 2. grihastha ou la vie de foyer (quand on attend d’une personne qu’elle prenne ses responsabilités de citoyen, cesse d’être une charge pour ses parents et ait des enfants) ; 3. vanaprastha ou quitter le foyer familial pour partir en quête spirituelle dans la forêt et 4. sanyasa ou renonciation et ascétisme. La vieillesse correspond donc à Vanaprastha – avec l’abandon de ses obligations sociales.

 

Or, avec le vieillissement de la population, les maisons pour personnes âgées se construisent un peu partout. On y trouve une assistance médicale et des activités. 57% des maisons de retraite sont dans le Kerala et le Tamil Nadu (Etats du Sud). A Pune, mon amie Nishtha vit par exemple à Atashri : une « society » où certains sont propriétaires d’un appartement, d’autres louent et tous ont accès à une cantine, un médecin etc. Et elle me dit que les listes d’attente sont longues pour y entrer… Cette tendance s’explique notamment par une plus grande mobilité des Indiens – en Inde et à l’international ; donc plus personne pour s’occuper des parents qui vieillissent. Et peut-être aussi parce qu’avec le développement économique, les vieux sont de plus en plus perçus comme des charges plutôt que comme des sages. Fut un temps où il faisait bon être vieux en Inde (selon l’adage « old is gold »).

Ceci-dit, ces condominiums ne sont accessibles que par les personnes âgées aisées. Que faire des pauvres ?

Si dans les pays industrialisés, le système des pensions couvre les besoins économiques des personnes âgées (note de moi-même : avec quand même des exceptions), en Inde, seuls 10% des travailleurs bénéficient de retraite : ce sont les personnes employées dans le secteur organisé (90% des travailleurs sont employés dans le secteur informel). Il y a un plan gouvernemental pour les personnes pauvres de plus de 65 ans: 150 roupies (soit moins de 3€) par mois… Et pour couronner le tout, d’après une étude réalisée par Help Age International, seulement une personne sur 5 qui aurait droit à cette somme la touche en réalité : comme ils sont analphabètes et pauvres, beaucoup ne sont pas capables de remplir les formulaires ou de fournir des certificats de naissance.

C’est ainsi que plus de 500 ONG reçoivent des aides pour développer toutes sortes de centres d’accueil.

 

Source: geocities.com et developments.org