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mercredi, 03 février 2021

La fascinante histoire du thé indien - 3/5

Les Indiens et le thé. Si le thé était la boisson nationale anglaise depuis la fin du 18ème siècle, les Indiens ne buvaient toujours pas de thé eux-mêmes à la fin du 19ème siècle.

Mais ils buvaient quoi alors les Indiens s’ils ne buvaient pas de thé ? Et bien de l’eau ! Les riches musulmans buvaient aussi du café, qui a probablement été amené dans le sud de l’Inde par les marchands arabes avant le 17ème siècle. (Par la suite, le café (filter coffee ou infusion de café obtenue par percolation de poudre de café finement moulue et mélangée à du lait moussé et bouilli à l'infusion) se démocratisa dans cette région et les Anglais ouvrirent la première grosse plantation organisée dans le Karnataka dans les années 1830.) Dans le nord de l’Inde, les villageois buvaient également du lassi et du babeurre (buttermilk), un sous-produit obtenu lors de la fabrication du ghee (beurre clarifié), en barattant le yaourt et en récupérant le liquide. Ils buvaient également des jus de fruits comme le nimbu pani, jus de citron vert mélangé avec de l’eau et du sel et/ou du sucre.  S’ils voulaient quelque chose de plus fort, ils buvaient de l’arrack (boisson alcoolisée distillée à partir de la fermentation de fruits, de riz, de canne à sucre, de sève de palmier ou de sève de cocotier) ou du toddy (grog ou cocktail fait d’alcool, d’eau, de miel, d’herbes et d’épices, et servi chaud).

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Rural folk sing and dance in an advertisement for Brooke Bond 'Kora Dust', 1920s-1930s. Source

Or, en 1901, l’Indian Tea Association a réalisé que son plus gros marché était en fait sous ses yeux et a étendu sa campagne de marketing au sous-continent avec pourtant peu de résultats jusqu’en 1914. Voici les actions qu’elle a mise en place afin de convaincre les Indiens de boire du thé :

- Emploi d’1 surintendant et de 2 « voyageurs européens intelligents » qui écumaient l’Inde en rendant visite aux épiciers ;

- Livraison de thé liquide dans les bureaux ;

- Au cours de la 1ère guerre mondiale, des étals de thé furent installés dans les usines, les mines de charbon et les filatures de coton où cette boisson sut déduire les ouvriers assoiffés. C’est d’ailleurs pendant la guerre que les propriétaires d’usines prirent conscience des bienfaits obtenus en prenant un peu soin de leurs travailleurs, notamment en leur laissant des pauses-thé – la « cantine de thé » fut établie en 1919 comme « un élément important d’une entreprise industrielle » ;

- Chemin de fer : des vendeurs furent équipés de bouilloires, de tasses et de sachets de thé et postés aux principaux carrefours ferroviaires du Pendjab et du Bengale (garam chai ! Hindu pani ! Muslim pani ! Chaque religion avait son étal de thé, pour des questions de pureté). Ce thé (chai) contenait plus de sucre et de lait (et ensuite des épices) que préconisé par les Européens, mais c’est ainsi qu’il séduisit les Indiens du Nord, et notamment les travailleurs affamés de protéines (1 tasse = 40 calories). Ça ne plut pas vraiment aux Anglais car le thé épicé a tendance à utiliser moins de feuilles de thé mais bon, on ne peut pas gagner sur tous les terrains ;

- Les échoppes de thé se développèrent mais doucement, notamment parce que les femmes refusaient d’y aller ;

- Démonstrateurs de thé : ils choisissaient un quartier dans chaque ville et pendant 4 mois, ils visitaient chaque maison, rue par rue, tous les jours à la même heure, pour montrer comment préparer le thé correctement. Mais il leur fallut gérer une certaine hostilité : contre les démonstrateurs hindous dans les ménages musulmans, contre les non-brahmanes dans les ménages brahmanes (ils finirent d’ailleurs par n’employer que des brahmanes parce ce comme ils sont au sommet de l’échelle castéiste, tout le monde peut manger la nourriture qu’ils cuisinent), contre la présence d’hommes dans des cuisines etc. ;

- Lors de la 2nde guerre mondiale, des fourgons de thé spéciaux ont été mis en place pour ravitailler les troupes indiennes et anglaises.

Àprès plus de 35 ans d'une campagne intensive (!!) la fin de 1936, les villageois indiens étaient habitués au thé. En 1945, même les sans-abri vivant dans les rues de Calcutta buvaient du thé. Mais en 1955, la consommation par habitant en Inde n’était que d’environ 0,23 kilos, contre 4,54 livres en Grande-Bretagne.

En 2016, l’Inde, avec 24% de la production mondiale était derrière la Chine (38%) et devant le Kenya (8,6%) (source). Avec 19% de la consommation mondiale, l’Inde était derrière la Chine (38,6%) (source). Pour autant, elle n’occuperait que la 28ème place du classement mondial de consommation par habitant, avec 0,33 kilos consommés par an (source)

À suivre...

mardi, 02 février 2021

La fascinante histoire du thé indien - 2/5

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‘Tea First Hand.’ Advertisement for United Kingdom Tea Company. May 1895. Tea and Coffee 4 (52), John Johnson Collection of Printed Ephemera, Bodleian Library, University of Oxford, Oxford, UK. Source

Les Anglais, le thé et l’opium. Catherine de Bragance (1638-1705), princesse de Portugal, apporta dans sa dot l’île de Bombain (future Bombay) lorsqu’elle épousa en 1661 Charles II d’Angleterre. Et c’est elle qui popularisa le thé auprès de l’élite britannique. À cette époque, la cour portugaise, contrairement à la cour britannique, avait déjà l’habitude de boire du thé, peut-être en raison des liens commerciaux du Portugal avec la Chine. Quand Catherine débarqua à Londres après un long voyage en mer et demanda une tasse de thé pour se rafraîchir, on ne put que lui offrir un verre de bière ! Une centaine d’année plus tard, à la fin du 18ème siècle, le thé était devenu LA boisson britannique ; il avait remplacé le verre de vin doux que les femmes aristocratiques avaient l’habitude de boire avec un biscuit l’après-midi.

Les Anglais s’approvisionnaient alors en Chine. Le problème c’est qu’ils n’avaient pas grand-chose à offrir en échange qui intéresse les Chinois jusqu’à ce que… ils découvrent leur faible pour l’opium. L’opium aurait été introduit en Inde par les Arabes au 7ème siècle, ou par les troupes d’Alexandre le Grand 3 siècles avant notre ère même si sa culture ne s’y serait développée que vers le 9ème siècle. « Sous le règne des Grands Moghols, empereurs musulmans des Indes du 16ème au 18ème siècle, la culture du pavot et le commerce de l’opium devinrent le monopole de l’État. L’opiophagie, déjà très répandue chez les Turcs, les Perses et les Indiens, se développa alors, puis l’habitude de le fumer, importée de Java et de Formose. Son usage se généralisa ensuite en Chine. La Reine Elizabeth I d’Angleterre, quant à elle, dépêchait vers 1606 des navires entiers afin d’acheminer vers son royaume le meilleur opium indien. Or les Chinois trouvaient le pavot étranger, surtout celui du Bengal, bien meilleur que le leur. (source) Tellement meilleur que le Gouvernement chinois a dû finir par intervenir.

En 1729 l’empereur de Chine interdit, en vain, les importations d’opium. En 1833, la British East India Company perdit le monopole du commerce chinois et en 1837, elle perdit tous ses privilèges. Les Anglais reçurent l’ordre de vider la rade de Canton de tous leurs navires contenant de l’opium et l’interdiction d’exporter depuis Calcutta. S’ensuivent alors les 2 guerres de l’opium (1839-1860) opposant la Chine à la Grande-Bretagne (surtout). La Chine perdit, la consommation d’opium est légalisée et elle finit elle-même par augmenter sa production nationale d’opium. En 1906, plus de 40 000 tonnes d’opium étaient produites dans le monde, dont 85% en Chine. Dès 1906, une campagne chinoise vise à réduire la consommation d’opium, avec un certain succès qui se confirmera dans les décennies suivantes jusqu’à ce que des gouvernements plus « musclés » n’interviennent. Aujourd’hui, la production mondiale d’opium a atteint 10 500 tonnes en 2017 (soit 65% de plus qu’en 2016), chiffre le plus élevé depuis le début des années 2000. L’Afghanistan se taille la part du lion avec une production de 9 000 tonnes. (source)

Pendant que la Grande-Bretagne se battait avec la Chine, elle décida sagement de commencer à sécuriser une autre source de thé. Et pourquoi pas l’Inde ?? Ce fut plus vite dit que fait – comme la plupart des entreprises en Inde qui ne payent que sur le long terme, et demandent beaucoup de patience et persévérance. Les Britanniques décidèrent d’essayer d’abord en Assam, mais ils snobèrent la plante indigène que des certains Bruce et Charlton avaient identifiée comme compatible pour la production de thé. À la place ils envoyèrent en Chine un émissaire, G. J. Gordon, pour collecter des plants et recruter des Chinois qui savaient faire du thé – même si les Européens achetaient du thé aux Chinois depuis plus de 2 siècles, ils n’étaient pas très au fait des méthodes de production, en partie parce que les Chinois en gardaient jalousement le secret. Mais Gordon réussit à faire passer en Inde 80 000 plants de thé (en 1835) et 2 producteurs chinois (en 1837). Malheureusement les résultats furent mitigés, d’une part parce que les Assamais, dont les terres avaient été réquisitionnées pour créer des jardins de thé, refusèrent de travailler dans la culture du thé, et d’autre part parce que les plantes chinoises ne prirent pas vraiment racines. Les Britanniques se dirent alors que les plantes indigènes étaient en fait tout à fait adaptées au thé, mais un peu trop tard : celles-ci s’étaient entre-temps croisées avec les plantes chinoises, ce qui donnait un hybride inférieur. Enfin, en 1853, le thé d’Assam versa son premier dividende. Et ce n’est que dans les années 1870 (soit près de 40 ans plus tard), que l’industrie du thé en Inde se stabilisa et réussit enfin à produire du thé de bonne qualité.

Dès lors, les producteurs de thé indien cherchèrent à écouler leur production. Dans les années 1880, ils lancèrent une vigoureuse campagne de marketing mondial lors des différentes expositions coloniales. En 1909, le thé était associé dans les esprits britanniques à l’Inde à tel point qu’il était rentable d’employer un Indien rien que pour le poster devant un café londonien en guise de publicité. Si en 1870, plus de 90% du thé bu en Grande-Bretagne provenait de Chine, en 1900, ce chiffre étaient tombé à 10% (50% provenait d’Inde et 33% de Ceylan).

À suivre...

lundi, 01 février 2021

La fascinante histoire du thé indien - 1/5

Au début du 20ème siècle, les Indiens ne buvaient pas de thé, ou à peine. Comment sont-ils, en un siècle, devenus le 2ème plus gros producteur et 2ème plus gros consommateur de thé au monde ??

Thé 1.jpg

An 1850s engraving on the production of tea in Assam   | Photo Credit: Wiki Commons Source

L’émergence du thé dans le monde. La consommation de thé a débuté en Chine au 4ème siècle. Le thé y était initialement utilisé par les moines comme remède à base de plantes pour les maux de tête et les peintures dans les articulations, ainsi que comme aide à la méditation. (D’ailleurs, encore aujourd’hui, les Bengalis considèrent le thé comme un médicament : mélangé avec du jus de gingembre, il guérit le rhume.) Elle s’est ensuite répandue au Japon entre le 6ème et le 8ème siècle, où elle est devenue un rituel social important, puis dans les régions himalayennes au nord de l’Inde, où le thé était bu comme une sorte de soupe mélangée à du beurre. À l’est de l’Inde, les tribus montagnardes mâchaient des feuilles de thé cuites à la vapeur et fermentées.

À suivre...