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lundi, 11 octobre 2021

L'Inde aux J.O. - 2. Le niveau sportif

Pourquoi les Indiens ne s'illustrent pas en sport ?

Voici le constat d’Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo dans Poor Economics, rethinking poverty and the ways to end it (2011) : « L’Inde, un pays d’un milliard d’habitants, a remporté en moyenne 0,92 médaille par Jeux Olympiques, au cours des 22 derniers Jeux Olympiques, ce qui la place juste en dessous de Trinité-et-Tobago à 0,93. Pour mettre ces chiffres en perspective, la Chine a remporté 386 médailles en 8 Jeux soit en moyenne de 48,3 par Jeux [Pour mémoire, la Chine a remporté sa première (en fait ses 15 premières) médaille d’or en 1984. Et on dit l’Inde 15 ans derrière sa rivale en termes de développement.

[...] Et 79 pays ont une moyenne meilleure que l’Inde. Pourtant, l’Inde compte 10 fois plus d’habitants que tous ces pays sauf 6. »

Mais pourquoi ?? Est-ce à cause de la pauvreté ? « Bien sûr, l’Inde est pauvre, mais pas aussi pauvre qu’autrefois, et pas aussi pauvre que le Cameroun, l’Éthiopie, le Ghana, Haïti, le Kenya, le Mozambique, le Nigéria, la Tanzanie et l’Ouganda, dont chacun, par habitant, a plus de 10 fois le nombre de médailles de l’Inde. En effet, aucun pays qui compte moins de médailles par Jeux olympiques que l’Inde n’a même un dixième de sa taille, à deux exceptions notables près : le Pakistan et le Bangladesh. »

Est-ce à cause de l’obsession pour le cricket ? (Le hockey étant le sport national indien.) « Si on se dit que tous les talents sportifs de l’Inde (soit un quart de la population mondiale) sont absorbés par le cricket, alors les résultats ne sont pas vraiment impressionnants. Le sport reste dominé par l’Australie, l’Angleterre et même les minuscules Antilles. [Les Indiens ont gagné la coupe du monde de cricket en 1983 et 2011, et ont été demi-finalistes 4 fois.] »

Pour les auteurs, il existe une corrélation entre la malnutrition infantile et l’échec olympique. D’après l’Enquête nationale sur la santé de la famille (NFHS)-4 (2015-2016), 35,7 % des enfants indiens de moins de cinq ans souffrent d’insuffisance pondérale, 38,4 % de rachitisme (insuffisance de calcification des os et des cartilages et elle est due à une carence en vitamine D et en calcium) et 21 % et de cachexie (état d’affaiblissement et d’amaigrissement extrêmes s’accompagnant de fonte du tissu adipeux et des muscles, notamment lors d'une dénutrition ou de la phase terminale de certaines maladies).

La presse parle beaucoup du fait que les infrastructures sportives et subventions manquent et que les parents n’encouragent pas leurs rejetons dans cette voie parce qu’il n’y a pas suffisamment à gagner.

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Et peut-être aussi qu’après avoir passé des générations à suer eau et sang pour tirer leur épingle du jeu et bouffer à leur faim, ils n’ont pas envie de courir après une balle pour s’amuser ? Question de priorités…

Surtout, personne ne se dit qu’il fait trop chaud ?? D’expérience, je peux affirmer que c’est difficile de faire du jogging en Inde : à peine débarquée, j’ai chaussé mes baskets et suis partie à l’attaque des champs derrière mon immeuble de Pune. Je n’avais pas fait cent mètres qu’un paysan m’est tombé dessus et m’a indiqué, avec force gestes grandiloquents, de faire demi-tour. J’en ai conclu que les serpents étaient un danger. À Delhi, j’ai retenté la course à pied mais là j’ai eu peur pour mes poumons à cause de la pollution. À Mumbai, rebelote, baskets aux pieds je suis partie au parc du coin. Pas de bol, ces lieux publics sont fermés entre 11 et 17 heures (personne n’aurait l’idée saugrenue d’aller se balader  quand le soleil est haut dans le ciel). En courant autour du parc, je me suis pris le pied dans une racine et explosé la tronche par terre. J’ai mis mes chaussures au placard fissa. J’ai alors cherché à jouer au badminton mais peine perdue, les salles manquent cruellement à cause du problème d’espace. Si vous n’êtes pas membre d’un « club », que nenni. La seule salle indépendante de mon quartier me proposait de venir entre 18 et 19 heures et d’attendre mon tour avec tous les autres joueurs.

À suivre...

lundi, 04 octobre 2021

L'Inde aux J.O. - 1. La performance à Tokyo

Voici le bilan pour l’Inde des Jeux Olympiques de Tokyo 2020 / 2021 :

  • 7 médailles (un record) portant le nombre total de médailles olympiques indiennes à 35
  • 1 médaille d’or (la première depuis 2012 et la première en athlétique), 2 d’argent et 4 de bronze
  • 3 médailles dans la catégorie féminine, 4 dans la catégorie masculine
  • 6 des médaillés ont des entraîneurs étrangers
  • Le plus gros contingent de sportifs indiens à participer : 228 envoyés pour 127 athlètes dans 18 sports
  • Prix : L'Association Indienne Olympique remet 10 000$ pour une médaille d'or, 5 500$ pour une médaille d'argent et 3 400$ pour une médaille de bronze. Ensuite, les États donnent entre 35 000 et 840 000$ pour un médaillé d’or, à leur discrétion ; 60% de la somme pour une médaille d’argent, 40% pour le bronze. (Un médaillé d'or américain reçoit 37 500$ mais son homologue singapourien vingt fois plus. (source))
  • Budget sport du Gouvernement indien cette année (2021-22) : 305 millions €, soit 8,16% de moins que l’année précédente (source) MAIS le budget a quand même bien augmenté entre 2016 et 2020 (source) notamment avec le programme national Khelo India (« play India »). Lancé en 2017-18, il vise à développer le sport « à la base » via l’identification de talents et le développement d’infrastructures et de compétitions.  

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Les athlètes médaillés viennent en majorité de milieux défavorisés:

  • Or – Javelot – Neeraj Chopra : il vient d’une famille agricole d’un village de l’Haryana et s’est mis au sport pour perdre du poids parce que les enfants se moquaient de son obésité

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  • Argent – Lutte – Ravi Kumar Dahiya : il vient d’une petite famille agricole d’un village de l’Haryana
  • Argent – Haltérophilie – Mirabai Chanu : elle vient d’une famille pauvre de Manipur ; son talent a été repéré un jour qu’elle accompagnait son frère ramasser du bois et qu’elle a porté sa charge sans effort
  • Bronze – Badminton – PV Sindhu : ses parents étaient joueurs professionnels de volley
  • Bronze – Boxe – Lovlina Borgohain : elle vient d’Assam où son père est un businessman de petite envergure, qui a néanmoins réussi à faire donner des cours de boxe à Lovlina et ses 2 sœurs aînées
  • Bronze – Lutte – Bajarang Punia : il vient d’un village de l’Haryana et a commencé à pratiquer des sports gratuits, son père ayant lui-même pratiqué de la lutte
  • Bronze – Hockey – Équipe masculine / les femmes ayant fini 4ème

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Même si la médaille d'or du lanceur de javelot défraye la chronique, l'Inde n'occupe que la 48ème place (pour la 2ème population mondiale). Alors pourquoi les Indiens sont-ils si mauvais en sport ? La suite la semaine prochaine !

lundi, 20 septembre 2021

L'expatriation en Inde avec Indian Therapy

Dans le monde expatrié, il y a expat et expat.

  • Il y a ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Parmi les premiers, il y a les CEO, les stagiaires, les entrepreneurs, les profs de français, ceux qui font de l’humanitaire, des artistes. Parmi les seconds, il y a ceux qui s’en accommodent bien et les autres – il est difficile en Inde de travailler avec un visa d’époux.
  • Il y a les célibataires, les gens mariés avec des compatriotes, ceux en couple avec un étranger et ceux qui sont avec un local du pays.
  • Il y a les expatriés longue durée et ceux qui viennent d’arriver.

Et tout ce petit monde ne se mélange pas, ou très peu, peut-être une fois l’an, à l’Ambassade, pour le 14 Juillet – occasion qui est en train de disparaître, réductions budgétaires obligent. Mais même quand le champagne coule à flots (façon de parler, après une dizaine de bouteilles on passe au mousseux indien pour les raisons sus-évoquées) pour la finale de la coupe du monde du football, on ne se mélange pas.

Les expats longue durée snobent ceux qui sont fraîchement débarqués. Ceux mariés à des locaux – qui sont également souvent des expats longue durée – se sentent des problématiques supérieures à ceux qui viennent en famille : ce n’est pas (que) de la femme de ménage indienne dont on se plaint mais de la belle-mère indienne…

Quand je venais de débarquer à Pune à 23 ans, j’avais été invitée à ma première soirée d’expats. Assez vite, j’avais migré du groupe des femmes d’expat, mères de famille et plus âgées que moi à celui des hommes. Juste parce que ça m'évoquait plus de choses de parler de moules de portière de voiture que de cours de piscine. Je n’avais pas remarqué certains regards assassins, comme si j’allais leur voler leurs maris… Je n’ai jamais été réinvitée. Mais je m’en moquais, j’étais libre, je voyageais, je vivais la grande aventure avec un Indien.

Depuis 2006, je suis une femme, française et employée par des entreprises étrangères pour se développer le marché indien. Depuis 2014, je suis une épouse d’Indien et maman d’un petit franco-indien. Cela me fait quelques catégories mais pas vraiment d’appartenance. Ce n’est pas grave, j’ai l’habitude.

Un mercredi matin, à Gurgaon, j’accompagnais ma voisine autrichienne d’une soixantaine d’années et pas très à l’aise en anglais à un « café expat » à Gurgaon pour qu’elle rencontre d’autres germanophones. Je remarquai un siège vide à une table ronde de dix personnes et demandai à une Française de mes connaissances si je pouvais m’asseoir. Non pas ! Elle attendait sa copine, et accessoirement sa voisine de palier, et lui gardait la place au chaud. Comme au CP quoi...

Un autre jour, je me suis invitée chez une Italienne de notre résidence. J’ai ramené ma voisine française mariée à un Indien. Elles ont chacune fait suffisamment de cookies pour nourrir tout le voisinage alors je ne me suis pas senti coupable de venir les mains vides. Grossière erreur. Ce n'était pas seulement impoli ; cela voulait aussi dire que si je n'avais pas le temps de cuisiner, je n'aurais pas le temps de les rejoindre lors de leurs activités du matin ou de l'après-midi, au son du tango. Si tu travailles, les « poufs d’expats » comme Juliette Tissot les appelle te dégagent direct. Certes, je n'irai pas déniché des merveilles dans les boutiques d'antiquité le jeudi matin… Mais on ne peut pas être copines et boire un coup de temps en temps ? Non ? Bon d’accord…

Pandémie oblige, l’Italienne a fini par devenir une amie et j’ai glissé un pied dans son monde. Un monde de mojitos, de pool-parties, de brunch du dimanche dans les hôtels 5 étoiles, de potins à n’en plus finir sur qui couche avec qui – c’est incroyable comme il s’en passe des choses dans cette micro-société de femmes désœuvrées et de maris surmenés. Mais aussi un monde où on doit passer son temps à surveiller son époux (encore que l’Inde ne soit pas le pays le plus dangereux dans ce domaine, pas comme Madagascar que l'on surnomme apparemment le "cimetière des mariages"). Et où la femme d’expat peut se perdre, notamment quand on a dû quitter la vie active pour suivre un conjoint en Inde où trouver un emploi suffisamment rémunéré pour avoir un visa n'est pas chose aisée. Alors certes, elles ont une vie dorée, des domestiques en veux-tu en voilà, du temps mais elles ont aussi, plus ou moins assumé, un sentiment de culpabilité et d'inutilité : ma pote se sent tellement inutile qu’elle s’oblige à cuisiner, « sinon je sers à quoi moi ? ».

Tout ceci est magnifiquement dépeint dans Indian Therapy de Juliette Tissot (2015). Six ans que je me promets de le lire et que je procrastine. Et pourtant quel régal ! Je l’ai lu d’une traite. Au final, quelle que soit la catégorie d’expatrié à laquelle on appartient en Inde, ce pays vous chamboule dans tout ce que vous avez de plus profond et si je n’ai pas vécu les fêtes déguisées, tellement de situations et de questionnements ont trouvé une résonnance. Ce n’est pas un roman pour comprendre l’Inde. Le ton est un peu négatif, pas très gai, sans fard – la protagoniste est une expat en dépression, même si selon elle, sur un échantillon de 25 compatriotes, elle en a compté 15 qui étaient « épanouies et heureuses ». C’est surtout le cheminement d’une expatriation – un déracinement devrais-je dire – dans un pays qui, quoi qu’on en dise, nous fait remettre en question pratiquement toutes nos idées reçues.

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J’en retiendrai par exemple ce passage. L'auteure est alors confrontée aux fêtes d'anniversaire des enfants de riches Indiens urbains, qui sont de presque répétition des mariages à venir, avec éléphants etc. et elle se rappelle les gâteaux et décorations faits main par sa mère. « Dans cette vie indienne, ou peut-être dans ma vie tout court, tout simplement, je dois faire le deuil de mon enfance à moi. Accepter de faire vivre à mes enfants une vie différente de celle que j’ai vécue et ne pas juger si elle est mieux ou moins bien. »

Des livres que des futurs/ex/expatriés en Inde pourront également apprécier :

  • Holy Cow ! de Sarah MacDonald – 2002 : Au-delà des fous rires provoqués par les gaffes de l’auteur (que tout expatrié en Inde pourrait faire), nous apprenons beaucoup sur la spiritualité indienne en suivant la quête de soi (qui dure 2 ans) d’une Australienne en Inde.
  • Fous de l’Inde – Délires d’Occidentaux et Sentiment Océanique de Régis Airault – 2002 : Face à la recrudescence des « épisodes de folie » chez les Français qui visitaient l’Inde, l’ambassade de France avait, dans les années 80, remplacé son médecin généraliste par un psychiatre.
  • Delirious Delhi de Dave Prager – 2011 : Sympathique lecture d’un expatrié à Delhi.

Plus sur mes recommandations de livres « indiens » ici : lien.