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vendredi, 14 janvier 2022

On serre les fesses et on ferme la bouche... - Le Covid vu par une Française en Inde 14.01

J’ai pris mes billets pour la France, une semaine ou deux avant l’avènement d’Omicron. Surveillant de près l’explosion en France, je me gardais une option d’annulation jusqu’à la dernière minute. Au fond, je pensais qu’il était plus prudent de rester tranquilles à Gurgaon… Mais c’était Noel… et j’ai un enfant de 7 ans… et j’avais réservé un séjour en Espagne pour voir ma famille que je n’avais pas vu depuis 4 ans… Alors à la dernière minute, moi qui aime faire les valises quelques jours à l’avance pour ne rien oublier, j’ai plié bagages. Et nous sommes partis. Avec l’impression d’aller mettre le nez dans une ruche mais contents quand même.

Nous nous sommes acclimatés durant la première semaine, au froid, au gris, le tout en pseudo-quarantaine. Nous n’avons vu personne à part ma famille, quelques gosses au parc et les locataires du Père Lachaise. Moi ça m’allait bien, ce rythme hivernal, mon Indien préféré un peu moins…

Et puis ça a été Noel, le ski en Espagne, le plein de soleil, la paella au bord de la plage le 1er janvier, les annonces d’infections Covid quotidiennes en France qui dépassaient presque celles des pires jours Delta en Inde. Mais la vie qui continuait un peu partout. Parce qu’on ne sait pas de quoi demain fait. Un après-midi, mon Indien préféré a eu un coup de pompe à Grenade, et nous avons pu faire l’expérience des auto-tests (invalide puis négatif). Pendant quelques heures, j’ai revécu l’angoisse de son Covid, il y a eu des « et si », « et si », mais ce n’était pas positif et la vie a immédiatement repris son cours.

Ensuite il y a eu ces interminables débats à la française qui ne se concluent jamais. Dreyfus, coupable ou innocent ? La vaccination, utile ou aliénante ? Les écoles, fermées ou ouvertes ? Au moins, avec le Covid, les gens de la télé ont des choses à dire, et les gens tout court aussi d’ailleurs. Les niveaux d’intolérance de chaque côté sont assourdissants, quand on sait que personne, aucun gouvernement, ne sait vraiment ce qui doit être fait pour qu’on s’en sorte… Je ne regrette pas de n’avoir ni télé ni journaux ni une vie sociale excitante.

Pendant ce temps, je scrutais les chiffres indiens, histoire de voir si je rentrais ou pas. Le chaos du printemps dernier m’a laissé un certain traumatisme… Le jour du départ, les nouvelles infections ont frôlé les 100 000, un ami médecin m’a dit que tout était sous contrôle, nous avons pris l’avion. L’aurions-nous pris si j’avais su ? Qu’en fait tout le monde est malade ? Que les labos sont surchargés et que personne ne teste ? (Pour une raison ou une autre, la frénésie des auto-tests n’a pas pris en Inde, et les médecins ne recommandent de tester que si la fièvre est forte et ne retombe pas au bout de 48 heures. Les cas sont estimés entre 60 et 90% de plus que les chiffres officiels.) Que les médias, au lieu de parler de la surcharge hospitalière, évoquent avec optimisme que le pic de la vague serait déjà passé ? Personne ne connaît vraiment les protocoles à suivre. A priori, les cas confirmés doivent s’isoler ou se mettre en quarantaine pendant 10 jours, pas besoin de test à la fin. Pas de différence entre vaccinés et non-vaccinés. Quid de ceux qui ont les symptômes mais pas de test - c'est-à-dire à peu près tout le monde ? Libres à eux de décider... Le gouvernement n’encourage pas les tests, et il est quand même incroyable qu’il n’y ait pas un seul article sur la situation à l’hôpital depuis mai. Rien. Nada. Du coup il n’y a ni hystérie ni panique.

Et les écoles ? Bah elles sont fermées depuis de 2 ans alors… (Elles ont rouvert quelques mois cette année dans le public, quelques semaines dans le privé.) Certes, les cas d’enfants en maternelle qui ont besoin d’aide médicale sont passés de 2 à 25% - en tout cas dans l’école de mon fils. Mais les écoles sont fermées, et a priori les parents sont contents.

Voilà. Tout le monde est malade autour de moi. Il caille comme c’est pas permis. On fait le dos rond…

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lundi, 13 décembre 2021

Être une femme et travailler en Inde

J’ai récemment participé à un événement ayant pour but de faire la promotion d’une région indienne auprès des investisseurs français. Je discutais avec un compatriote quand un Indien s’est approché de nous. Il m’a dit bonjour, a salué mon ami et lui a tendu sa carte de viste. Pour moi, wallou. Ça ne m’était jamais arrivé et j’en suis restée les bras ballants. Au bout de trois minutes, rebelote. Cette fois je n’eus même pas droit à un regard. La moutarde m’est montée au nez bien comme il faut! Alors quand il a conclu que mon pote pourrait toujours fait appel à lui s’il voulait acheter un terrain pour son usine, je lui ai souri et je lui ai dit que j'en cherchais justement un et que je m’assurerai de ne jamais utiliser ses services. Il s’est ratatiné : « mais faut pas le prendre comme ça… » Et je le prends comment alors? Non mais attends…


Mais l’histoire ne s’arrête pas là. À la fin, tandis que je me dirigeais vers la sortie avec un autre ami, Français né de parents indiens, une nuée d’Indiens s’est littéralement ruée sur nous, toutes cartes dehors. Et ils ont royalement ignoré mon compagnon.

En Inde, dans un évènement business, il semble donc qu’une femme caucasienne avec un homme caucasien soit sa femme ou sa secrétaire, voire les deux – et il serait impoli de la regarder et risquerait d'agacer l'interlocuteur. Tandis qu’une femme caucasienne accompagnée d'un homme indien est forcément sa boss. Intéressant... Il n'est pas rare que des gens confondent d'ailleurs mon mari avec mon chauffeur, quand je ne conduis pas moi-même.

lundi, 20 septembre 2021

L'expatriation en Inde avec Indian Therapy

Dans le monde expatrié, il y a expat et expat.

  • Il y a ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Parmi les premiers, il y a les CEO, les stagiaires, les entrepreneurs, les profs de français, ceux qui font de l’humanitaire, des artistes. Parmi les seconds, il y a ceux qui s’en accommodent bien et les autres – il est difficile en Inde de travailler avec un visa d’époux.
  • Il y a les célibataires, les gens mariés avec des compatriotes, ceux en couple avec un étranger et ceux qui sont avec un local du pays.
  • Il y a les expatriés longue durée et ceux qui viennent d’arriver.

Et tout ce petit monde ne se mélange pas, ou très peu, peut-être une fois l’an, à l’Ambassade, pour le 14 Juillet – occasion qui est en train de disparaître, réductions budgétaires obligent. Mais même quand le champagne coule à flots (façon de parler, après une dizaine de bouteilles on passe au mousseux indien pour les raisons sus-évoquées) pour la finale de la coupe du monde du football, on ne se mélange pas.

Les expats longue durée snobent ceux qui sont fraîchement débarqués. Ceux mariés à des locaux – qui sont également souvent des expats longue durée – se sentent des problématiques supérieures à ceux qui viennent en famille : ce n’est pas (que) de la femme de ménage indienne dont on se plaint mais de la belle-mère indienne…

Quand je venais de débarquer à Pune à 23 ans, j’avais été invitée à ma première soirée d’expats. Assez vite, j’avais migré du groupe des femmes d’expat, mères de famille et plus âgées que moi à celui des hommes. Juste parce que ça m'évoquait plus de choses de parler de moules de portière de voiture que de cours de piscine. Je n’avais pas remarqué certains regards assassins, comme si j’allais leur voler leurs maris… Je n’ai jamais été réinvitée. Mais je m’en moquais, j’étais libre, je voyageais, je vivais la grande aventure avec un Indien.

Depuis 2006, je suis une femme, française et employée par des entreprises étrangères pour se développer le marché indien. Depuis 2014, je suis une épouse d’Indien et maman d’un petit franco-indien. Cela me fait quelques catégories mais pas vraiment d’appartenance. Ce n’est pas grave, j’ai l’habitude.

Un mercredi matin, à Gurgaon, j’accompagnais ma voisine autrichienne d’une soixantaine d’années et pas très à l’aise en anglais à un « café expat » à Gurgaon pour qu’elle rencontre d’autres germanophones. Je remarquai un siège vide à une table ronde de dix personnes et demandai à une Française de mes connaissances si je pouvais m’asseoir. Non pas ! Elle attendait sa copine, et accessoirement sa voisine de palier, et lui gardait la place au chaud. Comme au CP quoi...

Un autre jour, je me suis invitée chez une Italienne de notre résidence. J’ai ramené ma voisine française mariée à un Indien. Elles ont chacune fait suffisamment de cookies pour nourrir tout le voisinage alors je ne me suis pas senti coupable de venir les mains vides. Grossière erreur. Ce n'était pas seulement impoli ; cela voulait aussi dire que si je n'avais pas le temps de cuisiner, je n'aurais pas le temps de les rejoindre lors de leurs activités du matin ou de l'après-midi, au son du tango. Si tu travailles, les « poufs d’expats » comme Juliette Tissot les appelle te dégagent direct. Certes, je n'irai pas déniché des merveilles dans les boutiques d'antiquité le jeudi matin… Mais on ne peut pas être copines et boire un coup de temps en temps ? Non ? Bon d’accord…

Pandémie oblige, l’Italienne a fini par devenir une amie et j’ai glissé un pied dans son monde. Un monde de mojitos, de pool-parties, de brunch du dimanche dans les hôtels 5 étoiles, de potins à n’en plus finir sur qui couche avec qui – c’est incroyable comme il s’en passe des choses dans cette micro-société de femmes désœuvrées et de maris surmenés. Mais aussi un monde où on doit passer son temps à surveiller son époux (encore que l’Inde ne soit pas le pays le plus dangereux dans ce domaine, pas comme Madagascar que l'on surnomme apparemment le "cimetière des mariages"). Et où la femme d’expat peut se perdre, notamment quand on a dû quitter la vie active pour suivre un conjoint en Inde où trouver un emploi suffisamment rémunéré pour avoir un visa n'est pas chose aisée. Alors certes, elles ont une vie dorée, des domestiques en veux-tu en voilà, du temps mais elles ont aussi, plus ou moins assumé, un sentiment de culpabilité et d'inutilité : ma pote se sent tellement inutile qu’elle s’oblige à cuisiner, « sinon je sers à quoi moi ? ».

Tout ceci est magnifiquement dépeint dans Indian Therapy de Juliette Tissot (2015). Six ans que je me promets de le lire et que je procrastine. Et pourtant quel régal ! Je l’ai lu d’une traite. Au final, quelle que soit la catégorie d’expatrié à laquelle on appartient en Inde, ce pays vous chamboule dans tout ce que vous avez de plus profond et si je n’ai pas vécu les fêtes déguisées, tellement de situations et de questionnements ont trouvé une résonnance. Ce n’est pas un roman pour comprendre l’Inde. Le ton est un peu négatif, pas très gai, sans fard – la protagoniste est une expat en dépression, même si selon elle, sur un échantillon de 25 compatriotes, elle en a compté 15 qui étaient « épanouies et heureuses ». C’est surtout le cheminement d’une expatriation – un déracinement devrais-je dire – dans un pays qui, quoi qu’on en dise, nous fait remettre en question pratiquement toutes nos idées reçues.

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J’en retiendrai par exemple ce passage. L'auteure est alors confrontée aux fêtes d'anniversaire des enfants de riches Indiens urbains, qui sont de presque répétition des mariages à venir, avec éléphants etc. et elle se rappelle les gâteaux et décorations faits main par sa mère. « Dans cette vie indienne, ou peut-être dans ma vie tout court, tout simplement, je dois faire le deuil de mon enfance à moi. Accepter de faire vivre à mes enfants une vie différente de celle que j’ai vécue et ne pas juger si elle est mieux ou moins bien. »

Des livres que des futurs/ex/expatriés en Inde pourront également apprécier :

  • Holy Cow ! de Sarah MacDonald – 2002 : Au-delà des fous rires provoqués par les gaffes de l’auteur (que tout expatrié en Inde pourrait faire), nous apprenons beaucoup sur la spiritualité indienne en suivant la quête de soi (qui dure 2 ans) d’une Australienne en Inde.
  • Fous de l’Inde – Délires d’Occidentaux et Sentiment Océanique de Régis Airault – 2002 : Face à la recrudescence des « épisodes de folie » chez les Français qui visitaient l’Inde, l’ambassade de France avait, dans les années 80, remplacé son médecin généraliste par un psychiatre.
  • Delirious Delhi de Dave Prager – 2011 : Sympathique lecture d’un expatrié à Delhi.

Plus sur mes recommandations de livres « indiens » ici : lien.