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jeudi, 09 avril 2020

Quand l'Inde prend le corona par les corones - Le Covid vu par une Française en Inde - 09.04

  • Nombre de cas en France : 86 334 (12 210 morts)
    • Jour de confinement : 23
  • Nombre de cas en Inde : 5 734 (169 morts) 
    • Jour de confinement à Gurgaon : 18 / National : 16

Alors que les températures montent dans le nord de l'Inde, le coronavirus continue son bonhomme de chemin, tandis que le Gouvernement indien prend des décisions assez drastiques. Aux grands maux les grands remèdes. En même temps, avec 1,3 milliards d’habitants, difficile d’être efficace en faisant dans la demi-mesure.

D’abord, le Gouvernement a imposé le lockdown national (confinement, quarantaine) le 25 mars avec moins de 600 cas et 9 morts – la France l’a lancé à 150 décès. Et il a pris des mesures bien plus strictes que dans beaucoup de pays : annulation de tous les vols, trains et bus, fermetures des frontières interétatiques, interdiction de livraisons autres que alimentaires, restriction extrême des déplacements pour lesquels il faut obtenir un pass (laissez-passer) etc. Les rues se sont effectivement vidées, mais pas les routes, qui ont vu l’exode des travailleurs journaliers qui n’ont pas d’attaches sur leur lieu de travail et pas de moyens de subsistance (et qui préfèrent aussi être avec leur famille pendant les coups durs). Les bidonvilles non plus ne se sont pas vidés, au contraire, la populace y a été fourrée. Le tout à la baguette. De bambou.

D'un autre côté, au-delà de la gestion difficile d'une situation difficile, il y a les élans de solidarité pour tous ceux qui commencent à avoir faim (qui sont d’ailleurs bien réels : avec Ratan Tata, les Sikhs et leur langar en tête de ligne et un paquet de bon samaritains anonymes).

Dernièrement, on entend souvent en Inde que la presse n’a pas bonne presse auprès du Gouvernement si elle est un tant soit peu dissidente, critique. Il a donc décidé récemment d’interdire toute circulation d’informations sur le corona virus – ou plus exactement de fausses informations ou d’informations de nature à provoquer de la panique, mais personne ne s’intéresse à cette précision. Quand on voit le nombre de fakes qui circulent sur les réseaux sociaux et journalistiques français, je me demande si cette mesure n’a pas quelque justification. Par exemple, il y a 2 jours, notre jardinier (musulman) a appelé mon Indien préféré. Pas pour parler des tomates (qu’il a plantées comme un sagouin) mais pour savoir si on avait entendu parler des émeutes hindous-musulmans qui éclateraient après la crise du Covid ? On lui recommande même de prendre le premier train après la fin du confinement pour aller se mettre à l’abri – c’est mes tomates qui seraient contentes. Et bien, laisse-moi te dire que mon esprit un peu fatigué s’est fait 50 scénarios allant de l’hébergement de la femme de ménage, du jardinier, du nettoyeur de piscine et du laveur de voiture (tous musulmans) à un départ précipité pour la France en barque. Bref, il vaudrait donc peut-être mieux que je n’ai pas accès à ce genre de rumeurs.

Et puis si les informations restent difficiles à trouver sur ce qui se passe en vrai, tout n'est pas caché non plus, témoin ce reportage d'Envoyé Spécial diffusé le 9 avril :

D'autres rumeurs, ou des messages du type « L'Inde surprend le monde ! »  m'ont fait réfléchir à ce besoin de reconnaissance de la part des pays dits développés. Un détournement d'information a ainsi fait de Modi l'élu des États-Unis, du Royaume-Uni et de 18 autres pays pour diriger un groupe de travail sur le coronavirus.

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Alors qu’en fait, l’Inde « pourrait » devenir leader d’un groupe de travail – Modi ayant en effet appelé à une action conjointe entre les pays pour contenir la pandémie –, mais il s’agit des pays de l’ASACR (Association sud-asiatique de coopération régionale) : l’Inde, l’Afghanistan, le Bangladesh, le Bhoutan, les Maldives, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka.

Sur ce, alors que le nombre de morts est passé à 149 – soit 140 de plus qu’au premier jour de confinement, il y a 2 semaines – les règles ont commencé à se durcir. Quand le nombre de cas dans une zone donnée dépasse 6, les autorités locales imposent désormais un sealing. Scellée, personne n’a le droit d’entrer dans cette zone ni d’en sortir. La nourriture et les médicaments sont livrés et seuls policiers et soignants peuvent être autorisés à y pénétrer, ainsi que ceux qui vont prendre la température de tout le monde et nettoyer portes et poignées de porte. Ça ressemble à ça à Gurgaon par exemple : notice du Gouvernement. C’est comme ça qu’à ce jour, 20 zones (hotspots) sont en cours de scellage à Delhi, et 104 dans l’Uttar Pradesh (source et source). L'Uttar Pradesh, l'Etat le plus peuplé de l'Inde, a vu (comme le Jharkhand et le Bihar notamment) ses travailleurs rentrés au bercail (les « migrants ») récemment. Il paraîtrait que certains villages se sont organisés pour les mettre en quarantaine, dans des écoles par exemple. Pourtant, l'épidémie se propage, d'où le sealing. Qui est pour l'instant prévu pour durer jusqu'à la fin du confinement (soit le 15 avril pour l'instant) s'applique à tout le monde, riches ou pauvres, et s’accompagne de barricades, ce qui est quand même un peu flippant.

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Un de ces hotspots, Fazilpur, est dans notre voisinage immédiat, et la plupart des employés de la résidence viennent de là-bas. Notre nounou nous a demandé au déjeuner si la famille de 9 personnes hospitalisées (dont une décédée) était « normale ». Normale ? Elle voulait savoir s’ils étaient riches ou pauvres. Elle a été presque soulagée d’apprendre qu’ils étaient pauvres : « Ils se pensent intouchables (enfin immunisés, mauvais jeu de mots dans le contexte indien) et que c’est une maladie de riches. Maintenant ils vont comprendre et arrêter de se balader. » Dur. L’autre son de cloche, qui vient des pauvres, c'est qu’ils sont certains de mourir de faim mais qu’ils ont une chance d’en réchapper avec le coronavirus. Questions de probabilités. Pas besoin de faire grandes écoles pour comprendre ça.

Pendant ce temps, le Premier Ministre raconte sur twitter comment il s'occupe : en appelant Poutine, Trump, et autres homologues internationaux (japonais, brésiliens etc.) - comme nous tous passons beaucoup de temps en Whatsapp call avec nos proches en fait. De temps à autre il passe à la télé et demande aux Indiens de taper dans des timbales ou d’allumer des bougies, histoire que les troupes gardent le moral. Il fait du yoga aussi, et son avatar donne même des leçons :

(Je veux la même avec Macron !) Il promeut également les recommandations du ministère Ayush pour renforcer le système immunitaire (Ayurveda, Yoga, Unani, Siddha et homéopathie) :

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À part ça, il gère l’épidémie. Il a discuté récemment avec ses pairs et a par exemple annoncé le 8 avril que 3 semaines de confinement ne suffiraient sans doute pas. D’ailleurs, cette journée a été bien remplie pour lui : il a fait plaisir à son pote Trump qui, après avoir ouvertement menacé l’Inde de représailles, remercie Modi d’avoir allégé les restrictions liées à l’export de médicaments aux US (notamment de paracétamol et d’hydrochloroxine). Modi a fait son calcul, envoyé le surplus de stock et transformé ça en geste humanitaire ; il aurait eu tort de se priver. Et puis cette accolade du Président américain fait rêver certains riches Indiens, qui se réjouissent du tweet de ce dernier – nous en revenons à ce besoin de reconnaissance...

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En plus du confinement de niveau 1 (lockdown) et de niveau 2 (sealing), d’autres mesures se mettent en place. Par exemple, Mumbai, Pune, Chandigarh et l’Uttar Pradesh ont imposé le port du masque obligatoire. Les autres vont suivre. Impossible d’avoir des infos claires sur les stocks de masques dans le pays. D’ailleurs, dans un contexte de pénurie d’équipements médicaux, on se rend compte que les Indiens ne sont pas les seuls rois du jugaad (bricolage inventif, mot hindi qui n’a pas d’équivalent en anglais). Les Français avec leurs masques de plongée Décathlon, leurs surblouses en sac poubelle, leurs couvre-visages faits à l’imprimante 3D, n’ont rien à envier aux Indiens. Ni les Espagnols avec leurs ventilateurs recyclés à partir de moteurs d’essuie-glaces (source)  Comme quoi, c’est l’adversité qui permet de puiser dans des ressources insoupçonnées de créativité, pas la nationalité. Face au corona, on est tous le tiers-monde.

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Sans transition, un rassemblement évangélique semble avoir propagé le coronavirus en France : plus de 2000 fidèles ont participé à un évènement, « Les portes ouvertes chrétiennes », à Mulhouse du 17 au 24 février, et auraient ramené le virus chez eux (partout en France, dans quelques pays limitrophes comme la Belgique, l’Allemagne et la Suisse) (source). Info ou intox ? Si le rassemblement a bel et bien eu lieu, et si de nombreux cas y sont liés, plein d’autres évènements ont également été maintenus à cette période : match de foot à Milan (19 février) et à Lyon (26 février), salon français de l’agriculture (du 22 au 29 février), carnaval de Nice (du 15 au 28 février) et de Venise (du 15 au 25 février), fête du citron de Menton (du 23 février au 3 mars)  (source). Stigmatisation ou pas, dans mon Inde lointaine, je n’ai pas entendu parler des citrons mais bien des évangélistes. D’ailleurs, j’avoue m’être demandé comment ces derniers interprètent ce signe de Dieu, une contamination virale via une réunion religieuse ?

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En Inde aussi, on a trouvé un rassemblement religieux comme coupable. Et comme en France, on a ignoré d’autres évènements concomitants. Un groupe de musulmans (le Tablighi Jamaat) a tenu son rassemblement annuel à Delhi début mars (vers le 3) avec plusieurs centaines de participants – on n’a pas les chiffres exacts mais leur lieu de rassemblement peut accueillir jusqu’à 5 000 personnes – dont des étrangers (source). En parallèle (du 3 au 7 mars) s'est tenue à Delhi une Food exhibition (Aahar) où il y avait des milliers (25 000 ?) de personnes. J’y suis moi-même allée. Et je suis sûre qu’on peut trouver plein d’autres rassemblements, qu’ils soient politiques ou religieux. Mais on s’en fout, un rassemblement musulman responsable de la propagation du coronavirus en Inde, c’est du pain béni pour les extrémistes hindous. Pourtant, en ce moment, il y a déjà un ennemi à combattre (le Covid) et le pays n’a pas trop les moyens de se payer des émeutes – j'ai plutôt l'impression que les autorités essayent de calmer le jeu même s'il y a certains agitateurs qui ne lâcheront pas le bout de gras comme ça. Les musulmans ne sont pas les seuls à être stigmatisés d'ailleurs, il y a aussi les gens aux traits bridés et ceux à la peau claire qui sont faciles à repérer. C’est quand même plus facile de s’en prendre à ceux qui auraient peut-être pu propager le virus qu’à ceux qui n’ont pas su l’endiguer, ou construire les infrastructures pour soigner. C'est vrai partout dans le monde.

À part ça, à l’heure où les Français débattent du bien-fondé d’une appli pour savoir quand on croise un(e) coroniféré(e), les Indiens ont déjà lancé deux-trois applis, dont le Aarogya Setu (lire article), inspiré de l’appli singapourienne TraceTogether. Apparemment, il faut soi-même remplir les données, et je ne sais pas combien de personnes s’auto-déclareront corona positives, vu la stigmatisation ici. Par ailleurs, il est souvent obligatoire, comme à Gurgaon, d’auto-déclarer la quarantaine si on a voyagé ou été exposé à des gens qui ont voyagé ou aurait pu être en contact avec le virus.

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Bref, ça ne rigole pas trop en Inde. (On a dépassé depuis très longtemps les tergiversions sur le bien-fondé d'un périmètre d'1 kilomètre pour aller faire son yogging.) En tout cas dans le nord de l'Inde (où se trouve le centre névralgiques des tensions hindous-musulmans) et dans l'ouest (le nombre de cas explosant dans l'Etat de Mumbai). Dans le sud, notamment dans le Kerala, les choses semblent plus calmes.

Pour l'instant, il n'y a pas de pénurie alimentaire. Mais je lis que dans des zones plus rurales, comme dans le Madhya Pradesh, les marchands de fruits et légumes se sont transformés en vendeurs à la sauvette et doivent se planquer à la moindre vue d’un policier. Seul le lait reste bien distribué. Et puis les wine shops sont fermés depuis belle lurette – en Inde, l’alcool n’est vendu que dans certains établissements possédant une licence. Ceci étant dit, certains sonnent la tirette d'alarme. Si le confinement venait à se prolonger, quid des récoltes dont la période arrive ? La mécanisation reste limitée en Inde, et même si les agriculteurs ont le droit de travailler, beaucoup repose sur la main d'oeuvre extérieure à l'Etat qui est rentrée chez elle et y reste (pas le choix de toute façon), que ce soit pour les récoltes, le stockage, le transport, le business dans les marchés de gros (charger, décharger, nettoyer etc.), le transport aux magasins, etc. Pas d'bras pas d'paratha. La France n'est pas la seule avec ce problème qui a lancé sans vergogne et non sans provoquer un certain tollé, un appel « Aux femmes et aux hommes qui aujourd’hui ne travaillent pas, un grand appel à celles et ceux qui sont confinés […] à celles et ceux qui n’ont plus d’activité, je leur dis rejoignez la grande armée de l’agriculture française, rejoignez celles et ceux qui vont nous permettre de nous nourrir de façon propre, saine. » (ministre de l’Agriculture Didier Guillaume, source). Affaire à suivre...

PS : J'évite de me mêler de politique et de critiquer, c'est juste pas mon truc. Je ne sais pas ce qu'il faut, aurait fallu, faudrait faire face à une pandémie de ce genre et je n'ai aucune qualification pour donner mon avis. Chaque pays fait un peu à sa sauce, il sera intéressant d'analyser au final ce qui a marché et ce qui a moins bien marché. En attendant, et même si on ne sait rien de la véracité des chiffres (pris sur wikipédia), je me suis amusée à comparer les courbes des US et de l'Inde (qui a une population 6 fois supérieure) :

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(Je ne commente pas les mesures américaines pour lutter contre le coronavirus parce que ça part franchement dans tous les sens.) Si les chiffres sont à peu près corrects, et s'il est avéré qu'il vaut mieux combattre le virus plutôt que de laisser tout le monde l'attraper, et ce à n'importe quel prix (économique, humanitaire etc.), alors l'Inde n'a rien à prouver aux Américains...

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Commentaires

Merci, pour ces vraies infos de l'Inde, mes amis sont au Kerala, ils n'ont pas l'air très inquiets. Je suis de tout coeur avec eux. Take care

Écrit par : Lours Laurence | vendredi, 10 avril 2020

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Merci pour cette très bonne description de l'ambiance qui doit régner dans les grandes villes du Nord de l'Inde. Ici au Kerala l'ambiance est beaucoup moins pesante car la situation est sous contrôle (pour une population de 38 millions d'habitants 357 personnes contaminées dont 2 décès et 97 guéries). Seul point noir la région de Kasaragod au Nord du Kerala qui compte plus de 50 % des contaminés. La plupart des contaminés étaient des indiens revenant des pays du Golfe, quelques-uns d'Italie et 8 touristes étrangers (le dernier est sorti hier de l'hôpital en remerciant le Kérala pour la façon dont il - en fait "elle" car c'est une anglaise) a été pris en charge. Ici pas de problème inter-communautaire musulmans-hindous-chretiens en plus le gouvernement local est communiste et les gens ont confiance en sa gestion de la crise. Nous attendons évidemment le début du deconfinement car beaucoup de gens sont au chômage à cause du lockdown.
Alain Molinie - actuellement chez moi à Alleppey (www.southcanalholidays.com)

Écrit par : Alain | vendredi, 10 avril 2020

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Merci Laurence et Alain pour ces précisions! J'ai amendé mon post en fonction.
Ma belle-mère qui vit à quelques kilomètres d'Allepey n'est pas trop inquiète non plus :-)

Écrit par : IndianSamourai | vendredi, 10 avril 2020

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