lundi, 03 avril 2017
25 millions de super-mères accouchent chaque année en Inde
En 2000, le Gouvernement indien a ratifié les Objectifs du Millénaire pour le Développement des Nations Unies s’engageant ainsi à réduire la mortalité infantile et améliorer la santé maternelle d’ici à 2015.
Solution proposée pour l’Inde par les Indiens: faire en sorte que toutes les femmes accouchent à l’hôpital.
Méthode proposée : gratuité des soins à l’hôpital public et remboursement des frais de transport. Et au passage discréditation des dais (les sages-femmes indiennes au savoir oral et pratique mais non diplômées) ainsi que des sages-femmes au sens plus occidental du terme dont la profession a été supprimée – dans les années 60, l’Inde a ‘créé’ la profession de ‘Auxiliary Nurse Midwives’ pour plus tard les remplacer par ‘General Nurse Midwives’ (source). Le tout histoire d’encourager les femmes à s’éloigner du système traditionnel d’accouchement à la maison pour aller voir les ‘pros’ à l’hosto où les soins appropriés pourraient être dispensés. En soi l’idée est pertinente. Oui sauf que (c’est chiant, pour toutes les mesures que les autorités indiennes prennent il y a un ‘sauf que’)…
L’objectif n’a pas été atteint malgré une énorme baisse de la mortalité infantile (de 374 pour 100 000 naissances en 2000, les chiffres sont passés à 174 en 2015 contre un objectif de 139). Parallèlement le nombre d’accouchements à l’hôpital serait passé de 25 à 79% selon l’Unicef (source). Sauf qu’il semblerait que ces deux tendances ne soient en fait pas liées! Mais évidemment le Gouvernement a été tenté par le raccourci – qui ne l’aurait pas été ? Non, d’après Jishnu Das, économiste à la Banque Mondiale, si la mortalité maternelle a diminué, c’est ‘simplement’ dû au fait que les femmes font moins d’enfants : de 3.3 enfants par femme en 2000 (5.9 en 1960 !) à 2.4 en 2014 selon la Banque Mondiale. Je vois pas complètement le lien de cause à effet, mais il avait l’air sûr de lui.
En revanche c’est devenu la fête du slip à l’hôpital. Et là je peux témoigner, étant donné que je visite des hôpitaux (publics et privés) pour le boulot.
Dans les villes (surpeuplées), les hôpitaux publics (qui n’ont pas le droit de refuser de patients) sont en surchauffe, avec des femmes qui partagent un lit à trois quand elles ont la chance d’en trouver un. Avec des femmes souvent traitées comme des merdes (parce qu’elles sont pauvres et illettrées et qu’un docteur c’est quand même un peu un dieu puisqu’il sauve des vies). Voire qui se prennent des baffes par le corps médical quand elles crient trop fort de douleur (source). Et des femmes qui doivent accoucher seules, vu que les proches (même la mère ou le mari) sont interdits de salle de travail.
Et d’un autre côté t’as les médecins et les infirmières sous-staffés qui font des heures pas possibles, accouchent des dizaines de bébés en même temps (difficile de garder son humanité et empathie quand tu travailles à la chaîne j’imagine – en tout cas c’est ce que pense la présidente de l’association des gynécologues indiens: « On va d’abord s’assurer du soin pour toutes avant de parler de respect »). Et se font parfois lynchés par les villageois si tout ne se passe pas bien comme prévu. Littéralement. Ils se prennent des pierres.
Dans les villes et les hôpitaux privés pour les plus riches, les abus sont d’un autre ordre, vu que c’est difficile d’insulter celui qui signe un (gros) chèque. Là encore je peux témoigner, avec mon accouchement et la plupart de ceux de mon entourage. Il s’agit donc plutôt de césarienne « forcée », de déclenchement non nécessaire, d’ouverture du cervix à la mano. Ce qui n’est d’ailleurs pas l’apanage de l’Inde apparemment. Et puis pas plus tôt le bébé est-il né qu’on le gave de lait en poudre (le mot n’est pas faible, on donne souvent une dose qui fait trois fois la taille de l’estomac comme ça le nouveau-né dort et laisse la mère se reposer). Or empêcher le bébé de téter dans la première heure peut avoir des conséquences durables et néfastes pour la suite de l’allaitement.
Évidemment il y a également les ‘bons’ docteurs. Hormis le fait qu’ils ne soient pas faciles à trouver, ils subissent aussi la pression de l’hôpital pour qui la rotation des patients est un Indicateur Clé de Performance. Il y a aussi quelques maisons de naissance dans le pays (une à Hyderabad et une à Cochin).
D’où un micro-mouvement de femmes aisées qui décident d'accoucher chez elles accompagnées d’une sage-femme qualifiée (i.e. capable de reconnaître quand il y a une urgence qui requiert une intervention hopsitalière) (source).
Enfin, dans les campagnes (pas surpeuplées), il manque de matériel, de sang, de docteurs qualifiés, du coup césariennes nécessaires et autres procédures salutaires ne peuvent être menées à bien.
Bref pas simple n’est-ce pas ? Pas simple et pas glorieux.
Pour que la situation s’améliore il faut dire aux femmes (toutes les femmes parce que même les éduquées et privilégiées comme moi ne sont pas au courant) qu’un accouchement prend du temps et que c’est okay de ne pas précipiter les choses. Qu’un accouchement ça fait foutrement mal mais que c’est pas ça qui compte, parce que c’est tellement plus que la douleur (sans faire dans le sentimentalisme bisounours), après tout « on est là pour en chier » témoigne mon père dès qu’on part faire une randonnée. Qu’un accouchement est un processus naturel et que sauf complications la mère peut faire tout toute seule; elle est plus forte qu’elle ne croit, elle doit se faire confiance, faire confiance à son corps. Que l’épisiotomie n’a pas besoin d’être systématique. Et que quel que soit le type d’accouchement, le bébé doit être posé sur la poitrine de la mère immédiatement.
Il faut aussi faire un effort pour bien choisir son médecin. Le système de ‘notation’ aide certainement : il existe des sites où les clients notent les docteurs et commentent sur la qualité des soins reçus. Ce qui aide à faire un choix plus éclairé même si en général les commentaires donnent à boire et à manger. Et quand tu penses que près de 60% des médecins allopathiques en Inde n’auraient en fait pas de diplôme (voire en général pas du tout d’études de médecine), tu flippes.
Il faudrait que les médecins acceptent de descendre de leur piédestal. Qu’ils soient plus aidés en termes d’effectifs (et de psychologie du patient, mais ça c’est mon opinion personnelle). D’où l'idée que des sages-femmes formées avec un curriculum officiel et de réelles responsabilités pour les accouchements pas à risque (une bagatelle de 80% des cas) puissent délester les gynécos et leur permettre de se concentrer sur les accouchements problématiques. C’est apparemment ce qu’a fait le Sri Lanka avec succès en dépensant moins d’argent ! (source) mais que se refuse à admettre l’Inde. Or, comme je l’ai entendu dire : « Si le Sri Lanka l’a fait, on doit bien pouvoir y arriver. »
08:00 Publié dans Histoires de Samouraï, IncredIble India | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : inde, naissance, accouchement, hopital, mortalité infantile, césariennes, sage-femmes, docteurs, infirmières | Imprimer | Facebook |