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lundi, 08 mars 2021

Pourquoi les Indiens portent des pyjamas mais pas pour dormir?

J’ai trouvé l’ultime paradoxe ! Le pyjama que les sociétés occidentales ont adopté comme tenue de nuit vient d’Inde où les Indiens n’ont PAS (ou rarement) de tenue de nuit. Si c’est pas fort ça…

inde,vêtements,pyjama,pajama,salwar,kameez,hurta,churidar,dormirLe pyjama ou pajama a été importé en Inde il y a plus d’un millénaire par les Moghols qui venaient d’Asie centrale – le mot tient son origine du persan, de pāë, pāij « pied, jambe » et jāmah « vêtement » (source cnrtl). D’ailleurs, quiconque tient à entretenir les dichotomies hindouisme-islam ne se prive pas de rappeler que la tenue communément portée aujourd’hui par presque toutes les Indiennes a été apportée par les envahisseurs musulmans. Pour autant, le kurta-pyjama, également appelé salwar-kameez, porte aussi le nom de Punjabi suit – de la région du Punjab, par où les Moghols sont arrivés. C’est dire si ce costume dépasse les considérations religieuses. Et puis, hésiter entre porter un sari et un kurta-pyjama (également appelé salwar-kameez), c’est un peu comme hésiter entre des talons aiguilles et des sandales. On s’en fout de qui a inventé la sandale non ? 

Le pyjama, pantalon donc, se décline en plusieurs versions : le salwar (très baggy avec plein de plis verticaux et qui se resserre aux chevilles) et le churidar (plutôt leggins avec des plis horizontaux au niveau de la cheville). Les deux se portent avec une tunique, la kurta ou le kameez – autre mot du vocabulaire indo-européen, puisqu’on nous portons bien des « chemises ».

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Les hommes portent le dhoti ou sa version moins formelle et plus colorée, le lungi – comme le sari un long pan de tissu noué à la taille, porté long ou version couche-culotte. Ils peuvent également porter le kurta-pyjama dans ses multiples versions, mais c'est souvent plus formel en milieu urbain. Sinon la combinaison pantalon-chemise à l'occidentale est aussi très répandue.

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Le pyjama a été rapporté en Europe par les colons britanniques dans les années 1800. Il a mis un peu de temps à s’imposer en France. Faut dire, l’époque était un peu coincée : une ordonnance de 1800 de la Préfecture de police de Paris interdit aux femmes de porter le vêtement dit « masculin » ; si elles voulaient vraiment mettre un pantalon, il leur fallait obtenir un « permis de travestissement ». (Ce règlement préfectoral n’a été abrogé qu’en… 2013.) Il aurait pas fallu pas que les femmes se mettent à porter la culotte non plus... C’est Coco Chanel qui l’a popularisé dans les années 1930. Il était alors un vêtement de sortie, de plage même.

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Enfin, ce n’est qu’à partir des années 60 que le pantalon est devenu universel.

Et le pyjama alors ? Que portaient les gens la nuit avant ? Et bien la fameuse chemise de nuit ! Ou simplement la tenue d’Adam et d’Ève ! Ça a varié suivant les époques et les coutumes. Quelle que soit la forme qu’il prenne aujourd’hui, le pyjama ou n'importe quelle tenue de lit, est devenu un élément important de notre garde-robe – peut-être même encore plus depuis 2020, avec le Covid et l’augmentation du temps passé à la maison. Je ne connais personne qui penserait se coucher avec sa tenue de jour. Ça me paraît même un peu sale, va savoir où tu as traîné tes guêtres et posé tes fesses toute la journée. Même un vieux tee-shirt troué mais dédié à la nuit fera l’affaire !

Et bien figure-toi que la plupart des Indiens qui pourtant trouvent sales et impensables de marcher dans la maison avec des chaussures, aiment encore dormir tout habillés de leur tenue de jour. Je ne te raconte pas la tête de nos voisins de couchette quand ma mère se met en pyjama dans le train (le plus discrètement possible mais quand même…) Traditionnellement, les gens qui rentrent à la maison doivent se laver les mains et les pieds, mais la douche est un évènement matinal voir diurne, à quelques exceptions près.

Ensuite, il y a certains Indiens qui se changent en arrivant chez eux – surtout ceux qui suent sang et eau dans la fournaise estivale et ont de quoi se payer plusieurs effets – et enfilent une tenue plus confortable (une tenue ethnique propre, plus large pour les femmes). Ils dormiront alors tous (ou presque) dans ces vêtements. Et beaucoup de femmes ont adopté la très sexy chemise de nuit (ou nightie) qui s'est imposée via le Kerala depuis les années 90 (avec peut-être une inspiration du Golfe). Cette robe informe mais agréable à porter est récemment sortie du lit et du salon pour s’imposer peu à peu à l’extérieur, au grand dam de la police morale (voir article) – pour info, le soutien-gorge reste en place dessous, de jour comme de nuit :

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J’ignore d’où vient cette habitude de ne pas se changer pour dormir. Pour commencer, ça tient peut-être du concept de confort qui vient en haut de l’échelle des besoins de Maslow – même si cela relève quand même de l’hygiène pour moi. Ça tient peut-être aussi à la place du sommeil, bien moindre qu’en Occident. Dans des maisons souvent peu spacieuses et bondées – où la chambre individuelle demeure encore souvent un luxe – les lits sont souvent utilisés à plein d’autres choses que dormir. Quand il y en a. Sinon on déroule les matelas la nuit venue, où on sort les charpoys dehors, et tout le monde s’allonge. Et chacun dort quand il peut, chez soi ou dans le bus, totalement habitué au bruit environnant.

Et puis il y a ces des tabous liés aux choses du corps dont la sexualité. En Inde, tu oublies les petits shorts et tops-bretelles pour être bien chez soi. Il faut couvrir le maximum de la femme ! Je reprendrai pour conclure les propos de mon fils de 6 ans qui m’a vue descendre en long tee-shirt de nuit pour accueillir ma belle-mère : « Maman, tu devrais peut-être mettre un pantalon ? T’as mis une culotte au moins ?? » Tu sauras tout... Et ça te laisse imaginer combien mes habitudes vestimentaires font enrager son Indien de père – je fais des efforts, je n’ouvre pas au livreur amazon en tee-shirt culotte mais quand il fait trop chaud, il fait trop chaud…

lundi, 12 octobre 2015

Dodo, l'enfant do... (Dormir en Inde et en France)

Un ami (indien) s’est pointé à l’improviste samedi soir à 21 heures. Quand il se ‘plaignit’ de ne pas pouvoir voir Bébé Samourai, je lui expliquai qu’il dormait depuis une heure. Seulement pour m’entendre dire : « Arrête de faire ton Allemande ! C’est quoi cette histoire d’imposer des horaires à un bébé ? »… Voilà, tout est dit… 

Le sommeil est l’une des grosses différences culturelles entre l’Inde et la France. Inde,dormir,dodo,sommeil,bébé,faire ses nuits,éducation,pleurer,Tracey Hogg,Sleepsensetraining,Hélène StorkPar exemple, en Inde, il n’est pas rare que l’on te cause pendant que tu dors, ou que l’on fasse le ménage dans ta chambre, voire même qu’on t’apporte un chai. Et personne ne penserait à fermer la porte de la chambre quand il lance un film dans la pièce voisine. Les rares fois où je me paye une grasse mat’ jusqu’à onze heures mon Indien préféré se met dans tous ses états et vient me solliciter plusieurs fois…

Ça doit être lié aux conditions de vie : à vivre nombreux dans peu de pièces, personne ne peut s’offrir le luxe d’une belle sieste ininterrompue, ou dans le silence (il est vrai qu’il vaut mieux apprendre à dormir dans le bruit en Inde, c’est assez une question de survie). En Inde on dort parce qu’on doit dormir, on ne se complait pas dans le repos. C’est un peu moins vrai pour la bouffe, pourtant un besoin physiologique au même titre que le sommeil. 

C’est donc la même chose avec les bébés (1). Ils vivent au rythme de la maisonnée. Voire pire : si les parents travaillent beaucoup, il n’est pas rare qu’un bébé se couche à minuit passé pour pouvoir jouer un peu avec son père.

En Inde, l’enfant dort avec sa mère. Et donc a priori avec le père. Sauf si ce dernier souhaite ne pas être réveillé (par les cris ou les coups de pied), auquel cas il ira dormir où il pourra (parterre, sur un matelas, ou dans un autre lit, ou sur le canapé). J’ai des exemples à foison. L’intimité du couple ? Même avant bébé, c’est déjà un concept peu répandu (encore une fois lié au mode de vie en sardines et sans doute un peu aussi à cause du mariage arrangé). Et même si ça l’était, le bébé passe avant tout. Et il doit dormir avec sa mère, pour pouvoir téter à volo et « créer des liens d’amour ». Dans un tel contexte, le bébé n’a pas besoin d’apprendre à s’endormir tout seul, ni à se rendormir tout seul ; et puis on ne va pas le laisser pleurer plus de deux secondes. L’enfant est roi en Inde, au moins les deux- trois premières années (après c’est nettement moins drôle, la réalité tape à la porte).

Que la mère finisse éclatée à se réveiller continuellement à cause des coups de pied ou d’une bouche avide de succion, on s’en tape (surtout après les premiers mois pendant lesquels elle est très aidée de sa propre mère, pour se remettre de l’épreuve physique de l’accouchement). 

La mère éclatée c’était donc moi, depuis que Bébé Samourai avait décidé que dormir la nuit c’était bon pour les imbéciles, le jour de ses 4 mois. Enfin il dormait, mais se réveillait toutes les deux heures (dans le meilleur des cas). En plus nous voyagions pas mal, et il dormait souvent avec nous. J’avais essayé à 5 mois la méthode de Tracey Hogg pour lui apprendre à s’endormir, mais j’étais déjà trop faible à cause du manque de sommeil pour supporter une heure de pleurs et je décidai que 1.Il était trop petit, 2. Les Occidentaux étaient un peu trop durs dans la manière d’éduquer leur bébé, 3. Les Français étaient bien sans-cœurs de laisser le nouveau-né seul dans son lit dans sa chambre dès le premier soir.

Et là je suis devenue hagarde. Pas déprimée non, mais un vrai zombie. Mon objectif chaque jour étant d’arriver à donner le change (et maîtriser la technique de dormir les yeux ouverts). Il faut dire qu’en plus des micro-nuits, il y a l’allaitement. Et l’allaitement c’est bien, mais c’est pas toujours une sinécure : ça pompe de l’énergie, quand il tête, et encore plus quand on doit s’organiser pour tirer son lait. J’avais donc abandonné l’idée que Bébé Samourai (et donc moi par la même occasion) puisse un jour dormir une nuit entière, en tout cas pas avant de quitter la maison…

Et voilà qu’un beau soir, une copine française mariée à un Indien m’envoie un document pour « Apprendre à dormir » (SleepSenseTraining (site web) qu’elle compte essayer. Je lui explique que personnellement j’ai lâché l’affaire et que j’attends que les choses s’arrangent d’elle-même. Et puis par curiosité, parce que je n’avais rien d’autre à faire et que j’avais mon téléphone à la main, j’ouvre le bouquin. 45 minutes plus tard, Bébé Samourai se réveille et je décide de tester cette technique illico presto. Comme un noyé s’accroche à une bouée de sauvetage. La dernière chance quoi ! Après avoir pleuré trois-quarts d’heure, il dormait à poings fermés. Et en une semaine (avec des hauts et des bas) il dort presque toute la nuit, plus de 10 heures. On me l’aurait dit que je l’aurais pas cru ! 

Ceci étant-dit, j’ai fait les choses un peu à ma sauce. D’aucuns argueront que je prends le meilleur de chaque culture, mais vraiment, je suis juste mes instincts. C’est ainsi qu’on a une routine pré-coucher qui inclut un massage, qu’il se couche à 20 heures et qu’il dort dans son berceau. En revanche il dort dans notre chambre et je ne le forcerai pas à s’endormir sans personne dans la chambre ; je continuerai à le prendre dans les bras pour le calmer si il en a besoin et je suis un peu flexible sur les siestes. J’ai été d’ailleurs confortée dans cette approche par le peu que j’ai pu lire des travaux d’Hélène Stork qui a comparé « comparé les pratiques du maternage en Occident avec celles d'autres pays, notamment de l’Inde du Sud » et dont je viens de commander l’ouvrage Enfances indiennes (2). 

Quoi qu’il en soit, Bébé Samourai dort et moi je revis – en fait je suis presque fatiguée de trop dormir mais je vais pas me plaindre hein…

 

 (1) Résumé des différences de maternage :

Inde,dormir,dodo,sommeil,bébé,faire ses nuits,éducation,pleurer,Tracey Hogg,Sleepsensetraining,Hélène Stork

Source : https://www.cairn.info/revue-spirale-2005-2-page-151.htm

 

(2) Hélène Stork, Enfances indiennes. Etude de psychologie transculturelle et comparée du jeune enfant, Paris, Paidos/Le Centurion, 1986

Assurant une consultation médico-psychologique dans un centre PMI de la banlieue parisienne, Hélène Stork a constaté de nombreux troubles psychologiques chez les jeunes enfants. Forte de l’intuition que ces difficultés témoignaient, entre autres, du malaise de toute une société, elle a comparé les pratiques du maternage en Occident avec celles d'autres pays, notamment de l’Inde du Sud (pays tamoul), où elle a séjourné longuement, à plusieurs reprises. A l’instar de l'ethnologue, elle a mené sur le terrain des recherches cliniques approfondies, alliées à l'étude des textes sanskrits anciens qui fondent les techniques indiennes de soins infantiles. Cet ouvrage, après avoir défini la psychologie transculturelle (histoire, méthodes, buts), décrit avec une très grande précision (grâce, en particulier, à l'enquête filmique) les gestes et les postures du maternage en Inde du Sud, apportant une riche contribution à l’étude de la vie psychique des bébés durant les six premiers mois. Au terme de son travail, Hélène Stork formule une question pour l’Occident : « L’organisation sociale de la famille permet-elle aux femmes (aux parents) de pratiquer un maternage favorable au développement sensori-moteur et à la bonne santé mentale du petit enfant ? »