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jeudi, 23 décembre 2010

Des castes et des couturiers

La question des castes, que tout le monde me pose, est particulièrement compliquée.

Tout le monde dit que c’est de moins en moins perceptible dans la société, particulièrement dans les villes.

Et à mon avis, même en-dehors des villes, il faut parler la langue pour arriver à se familiariser avec la chose.

Toutefois, une pancarte à Gangtok m’a interpelée :

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jeudi, 11 septembre 2008

Du castéimse en Inde

Un sujet sensible: les castes. Nous en discutions l'autre soir. Difficile d'y comprendre quoi que ce soit. D'autant qu'à part dans les journaux, c'est à peine perceptible pour l'étranger... Pour en parler, rien de mieux qu'un extrait de (l'excellent) Dans la peau d'un Intouchable de Marc Boulet (que j'adore). Pour les chiffres je sais pas si c'est encore d'actualité (le livre date de 94) mais ça devrait pas trop avoir changé...

83% des Indiens sont hindous et divisés en 2000 à 3000 castes, groupes héréditaires, ségrégatifs et endogames, souvent liés à une profession et hiérarchisés entre eux selon leur degré de pureté hygiénique et religieuse. Parallèlement, les castes se rassemblent dans le système global des quatre varna ou ordres traditionnels : au sommet les brahmanes, puis les kshatriya, les vaishya et au pied de la pyramide la masse des shudra. Respectivement les prêtres, les guerriers, les commerçants et les serviteurs, nés de la bouche, des bras, des cuisses et des pieds de Brahmâ, le dieu créateur de l’univers.

                Les trois premiers ordres seraient constitués à l’origine par les Aryens, terme qui signifie les « nobles » en sanskrit. Venu des steppes d’Asie centrale, ce peuple colonisa le nord de l’Inde il y a trois ou quatre mille ans. Il imposa sa religion qui constitue les bases de l’hindouisme. Ces trois classes supérieures sont dites deux fois nées car leurs enfants mâles subissent une initiation rituelle. Elle symbolise une seconde naissance, sorte de baptême hindou à l’issue duquel l’enfant revêt un janeu. Ce cordon de coton pendra en bandoulière sur son épaule gauche jusqu’à sa mort.

                A l’opposé, les shudra, travailleurs manuels d’origine supposée préaryenne, ne peuvent porter ce cordon sacré. Issus des pieds du Créateur, ils sont trop inférieurs. Ce sont les laitiers, les barbiers, les pêcheurs, les forgerons, etc. Des sous-hommes au service des trois ordres supérieurs. Traditionnellement, si un shudra écoutait les textes saints hindous, il fallait lui couler du plomb dans les oreilles ; s’il les récitait, sa langue devait être tranchée ; s’il se les rappelait, il devait être démembré.

                Il existe des castes encore « plus inférieures », si viles qu’elles ne furent pas engendrées par le Créateur. Elles se situent hors du système des quatre varnas et forment la cinquième roue du chariot indien. Ce sont les intouchables, les chandâl, les descendants de mythiques bâtards issus de la copulation d’un shudra avec une brahmane. Le pire des hybrides selon l’idéologie hindoue, rangé au niveau du chien et du porc. En réalité, les intouchables seraient des shudra sales. C’est-à-dire des autochtones convertis par les Aryens à l’hindouisme, mais dont les coutumes et les professions extrêmement dégradantes aux yeux des brahmanes rejettent leurs castes hors du système des varna. Les balayeurs, les blanchisseurs, les croque-morts, les cordonniers, les tireurs de vin de palme sont intouchables. Ils sont immondes. Le cordonnier dépouille les animaux crevés, le blanchisseur lave le linge sale, le croque-mort tripote les cadavres… Leurs activités les tachent d’une impureté permanente qui souille quiconque les touche et ils vivent dans des quartiers spécifiques à l’écart des autres castes.

                Même leur ombre peut polluer. Autrefois, l’entrée dans la ville de Pune leur était interdite avant neuf heures du matin et après trois heures de l’après-midi car les ombres de leur corps, trop longues avec le soleil rasant, pouvaient tomber sur un membre d’une haute caste et le salir. Toujours au Maharashtra, un intouchable ne pouvait cracher sur la route au risque de polluer celui qui marcherait sur son crachat et il devait porter un pot de terre accroché à son cou pour y cracher. Si un brahmane croisait sa route, il devait alors se coucher au sol afin de ne pas créer d’ombre. Au Punjab, quand un balayeur sortait dans la rue, il était censé porter un balai sous le bras pour indiquer sa caste et devait crier pour avertir la population de sa présence polluante. Sur la côte de Malabar, les tireurs de vin de palme étaient si indignes qu’ils ne pouvaient porter ni parapluie, ni chaussures, ni bijoux en or.

                C’était autrefois. Après l’Indépendance de l’Inde en 1947, l’intouchabilité et la discrimination de caste furent abolies par la Constitution. Aujourd’hui, les intouchables sont pudiquement appelés « castes répertoriées » ou « enfants de Dieu » - terme gandhien que les intouchables jugent condescendant. Sur le papier, tous les temples, les magasins, les restaurants, les puits, les écoles, les routes leur sont accessibles sans restriction et l’Etat leur réserve des sièges au Parlement et des emplois dans l’Administration pour élever leur condition. Avec la modernisation de la société, beaucoup n’exercent plus leur activité traditionnelle. Ils sont paysans, ouvriers, tailleurs, commerçants, petits fonctionnaires, mais dans les faits, cela ne change rien à leur intouchabilité. Ils appartiennent à la vile caste de leurs ancêtres et continuent d’occuper le bas de l’échelle sociale.

                Les intouchables sont environ 130 millions, soit 15% de la population indienne, auxquels il faut ajouter 65 millions d’authentiques aborigènes vivant dans la jungle et également considérés comme intouchables à cause de leurs coutumes tribales, donc primitives et impures.

                Grosso modo, un Indien sur quatre est intouchable, ce qui représente un homme sur vingt-huit au niveau de la planète.

                Cette discrimination fondée sur une impureté imaginaire est en outre indélébile, tout comme la couleur de la peau. Un homme ne peut changer de caste au cours de son existence présente. Seule la réincarnation après la mort lui permet de renaître dans une condition meilleure ou pire, en fonction de ses actions passées, bonnes ou mauvaises. Tous les corbeaux sont noirs et le monde est injuste, c’est bien connu ; mais le système des castes – contrairement à celui des classes qui récompense le mérite dans la vie présente – emprisonne l’individu, interdisant toute ascension sociale.

                L’intouchabilité semble une discrimination aussi monstrueuse que le racisme, et pour l’étudier, connaître la vérité, je dois devenir intouchable.

 

« Dans ton quartier, tu connais tout le monde, tu sais qui est brahmane, barbier, laitier, balayeur… Mais si tu sors en ville, tu ne peux pas deviner la caste d’un inconnu à son visage ou ses habits.

-          Pourtant les enfants de Dieu sont plus foncés et mal vêtus. Et plus pauvres.

-          Oui, mais pas toujours. Il y a des brahmanes noirs et j’ai un riche ami cordonnier. Il possède un magasin de location de cassettes vidéo, une voiture et un grand immeuble près du pont d’Assi. Dans mon école, j’ai aussi une étudiante qui est balayeuse. Elle a le teint plus pâle que toi. Elle est très belle et bien habillée. »

En Inde, plus votre peau est claire, plus elle est appréciée.

 

Les intouchables souffrent du castéisme et ils se discriminent entre eux à l’image des oppresseurs.

 

Ce n’est ni un peu plus de démocratie, ni une meilleure éthique policière qui résoudront [le problème des droits de l’homme]. L’absence de droits naît du castéisme et donc de l’hindouisme. Un système social d’hommes et de sous-hommes qui empoisonne l’Inde sous couverture de la religion, de Dieu. Les Occidentaux n’y voient que du feu. Ils combattent à juste titre le racisme et l’antisémitisme, mais ils posent un regard indulgent sur le castéisme et considèrent qu’il appartient au patrimoine culturel indien, tel le Tâj Mahal. Le castéisme ne les scandalise pas, c’est lointain et je pense aussi que leur bienveillance naît de l’admiration qu’ils portent à la civilisation brahmanique et du dégoût que leur inspirent les balayeurs et autres intouchables confondus pêle-mêle avec les mendiants et les lépreux pour qui ils n’envisagent qu’une charité dédaigneuse. Ils oublient que les étrangers eux-mêmes sont des intouchables et n’ont rien en commun avec les brahmanes ou les Rajpoutes qui les fascinent tant. […]

Je n’ai plus peur des mots. Le castéisme est un système ségrégationniste, tout comme l’apartheid en Afrique du Sud. Aussi ignoble, aussi condamnable. On est balayeur et laitier en Inde comme on est noir et métis en Afrique du Sud. C’est la naissance et cela colle à la peau jusqu’à la mort. Comme les pigments. Je le répète : la caste est indélébile. Sans espoir d’ascension sociale. Chacun dans son ghetto, avec des droits et des devoirs différents. La violence indienne se ramène à des discriminations de castes, ou de religions [en Inde, les nouvelles fois égalitaires telles que l’islam, le sikhisme et le christianisme, perpétuent d’ailleurs un système de castes, plus ou moins atténué. Le castéisme est une institution panindienne, il appartient au fond commun hindou du sous-continent.] – ce qui revient au même, au cloisonnement intolérant de la société –, et les humanistes occidentaux doivent désavouer l’hindouisme et non point tel ou tel abus policier.

                L’expression « droits de l’homme » n’a aucun sens en Inde. C’est un concept fondé sur le respect mutuel entre les citoyens, un concept égalitaire impossible à greffer sur la société hiérarchique hindoue.