lundi, 18 novembre 2019
L'eau en Inde - 2. La pénurie
Le contexte :
- L’Inde abrite 18% de la population mondiale mais n’a accès qu’à 4% des réserves mondiales d’eau fraîche.
- L’Inde a la 2ème surface agricole du globe mais seulement 41% des terres sont irriguées.
- Seulement 25% des ménages indiens ont accès à l’eau courante à la maison (40% ont des toilettes, et 80% ont l’électricité).
- 163 millions d’Indiens n’ont pas accès à de l’eau potable propre, et d’ailleurs 21% des maladies en Inde viennent de l’eau.
- Même quand ils ont accès à l’eau courante, les Indiens sont par nature parcimonieux. Même en ville par exemple, ils utilisent des seaux pour se laver (utilisant ainsi moins de 10 litres pour une douche quand un Français utilise 40 à 60 litres par douche et 100 à 200 litres par bain.
- 12% de la population indienne vit déjà le scénario du « jour zéro » où il n’y a plus d’eau à pomper.
- 50% de l'eau distribuée est perdue à cause de fuites. (source)
En conclusion, beaucoup n’ont déjà pas accès à l’eau (que ce soit pour cultiver ou pour boire). Et la situation ne risque pas de s’améliorer à cause de l’augmentation de la population et de la surface irriguée, de l’industrialisation etc.
De plus, un autre défi à relever est la diminution inquiétante de la qualité de l’eau avec la contamination des eaux souterraines et la pollution des rivières (voir post suivant).
D’où vient l’eau en Inde ? (voir ici)
L’Inde dépend à 60% de la pluie et à 40% des rivières et de l’eau souterraine (le pays pompe d’ailleurs 25% de toute l’eau souterraine tirée dans le monde).
Les précipitations (qui proviennent à 85% de la mousson de juin-août) fournissent en une année environ 4 000 km3 – mais plus de la moitié retourne dans les océans.
La disponibilité des eaux de surface (rivières, lacs, réservoirs – 1 437 km3, dont seulement 32% peut être utilisé) et des eaux souterraines renouvelables (432 km3) est de 1 869 km3. Sur ce nombre, 60% seulement peuvent être utilisés, soit 1 122 km3. Selon certaines estimations, l’eau souterraine représente près de 80% des besoins en eau des ménages ruraux et 50% des besoins en eau des villes en Inde.
Mais comme je l’ai dit, la vie est mal faite et la répartition des rivières et des précipitations est très inégales géographiquement et dans le temps, variant d’une année sur l’autre. 46% des eaux souterraines se trouvent par exemple dans les bassins du Gange et du Brahmapoutre. Cette même région du nord et de l’est concentre 60% de l’eau de surface.
Certaines mégapoles, telles que Delhi et Mumbai, ont le privilège d’obtenir plus que la norme municipale de 150 litres d’eau par habitant et par jour (ce qui correspond à la moyenne française), tandis que d’autres villes reçoivent 40 à 50 litres et des villages beaucoup moins. (L’Organisation mondiale de la santé (OMS) indique qu’une personne a besoin d’environ 25 litres d’eau par jour pour satisfaire ses besoins élémentaires en matière d’hygiène et d’alimentation. Le reste est utilisé à des fins non potables, telles que le nettoyage et le nettoyage.)
La politisation de l’eau :
L’eau est devenue une arme politique. Par exemple, fin 2017, le ministre de l’eau de Goa a déclaré que l’État ne partagerait pas « une seule goutte d’eau » avec le Karnataka voisin, à cause de désaccords politiques entre partis opposés.
Les tensions existent à l’international (avec le Pakistan et la Chine) mais le risque d’aggravation est modéré. En fait, la Chine, où sont les sources de l’Indus et du Brahmapoutre, ne peut pas limiter l’accès à l’eau à l’Inde, au risque de faire déborder ses barrages. Certes la position du Pakistan est un peu plus délicate.
Mais ce sont surtout les conflits internes pour l’eau qui devraient inquiéter :
- En 2016 : des bus ont été incendiés à Bangalore dans la guerre pour la Cauvery/Kaveri river qui oppose le Karnataka et le Tamil Nadu depuis des décennies.
- Le Telangana et l’Andhra Pradesh (États qui ont fait sécession en 2014) se battent bec et ongles pour les rivières Godavari et Krishna (le conflit n’épargnant pas le Maharashtra et le Karnataka). (La Godavari s’écoule d’ouest en est sur 1 465 kilomètres à travers le Maharashtra (48,6%), le Telangana (18,8%), l’Andhra Pradesh (4,5%), Chhattisgarh (10,9%), le Madhya Pradesh (10,0%), Odisha (5,7%), le Karnataka (1,4%) et Puducherry, pour finalement se jeter dans la baie du Bengale.)
Les « crises de l’eau » en Inde :
- 2018 : Crise de l’eau à Shimla, dans les montagnes pré-himalayennes (Himachal Pradesh) qui a été conséquemment fermée au tourisme pendant plusieurs semaines.
- 2019 : Crise de l’eau à Chennai, 4ème plus grosse ville du pays et capitale du Tamil Nadu.
- 2019 : Crise de l’eau à Latur (Maharashtra), qui a dû se faire approvisionner par des trains.
- 2020 : 21 mégalopoles indiennes devraient atteindre ground zero en eaux souterraines (Delhi, Bengaluru, Chennai, Hyderabad et d’autres, affectant 100 millions de personnes), selon le rapport Composite Water Management Index (CWMI) de Niti Aayog (2018).
- 2050 : L’Inde sera un pays avec peu d’eau (a moderate water scarce country) d'après un rapport.
Mais qu’on ne s’inquiète pas, alors que les températures augmentent et que les précipitations diminuent, les Indiens continuent de vivre comme si de rien n’était, chaque jour suffisant à sa peine.
Le Gouvernement se réveille mollement. En mai 2019, un nouveau ministère de l’eau Jal Shakti, a été formé pour ne se consacrer qu’à la question de l’eau. Eau qu’il faut récolter, conserver, recycler, distribuer et dépolluer. Y en qui ont du pain sur la planche surtout dans les cinq prochaines années, qui sont cruciales selon certains experts.
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lundi, 04 novembre 2019
De la valeur de montrer l'exemple en Inde
Si la plupart des Indiens que j’ai en entretien pensent qu’un bon leader doit montrer l’exemple, je ne suis pas si sûre que cela soit si efficace en Inde. Je m’explique.
J’ai observé deux réactions lorsque j’ai voulu "montrer l’exemple" à ma femme de ménage : l’incrédulité (que moi je passe l’aspirateur) et la vexation (que je passe l’aspirateur à sa place). Dans les deux cas, le résultat est le même : elle me laisse passer l’aspirateur. Soit elle se dit que c’est une de mes lubies, soit elle se dit que si je le fais elle n’a pas besoin de le faire, soit elle se dit qu’elle a toujours passé le balai et que l’aspirateur ce n’est pas pour elle. L’un dans l’autre, l’aspirateur finit par ne pas être passé.
Nous avons récemment fait un trek en Uttarakhand et emmené avec nous la nounou de notre fils, une jeune Népalaise. A la maison, elle nous a impressionné dès le début : elle ne jette rien. Même les vieux cartons ou les vieux sacs que je mets à la poubelle finissent toujours par ressurgir. Mon Indien préféré pense que c’est sa culture bouddhiste qui veut ça. Mais notre précédente nounou, une Indienne catholique, était pareille ; même les aliments presque pourris dans le frigo étaient consommés.
Le premier jour du trek, la nounou m’a vu ramasser les ordures le long du chemin et elle m’a confié que ça la faisait réfléchir. Ce n’est pas pour autant qu’elle m’a imitée... (Petite parenthèse : mon intention n'était pas alors de montrer l'exemple, ou encore moins de "donner de leçon" via un comportement (que j'estime (et qui donc reste hautement subjectif)) exemplaire, mais d'ajouter ma petite pierre à l'édifice du nettoyage, parce que je préfère marcher sur un chemin non couvert d'ordures. Et puis si ça aide les gens autour à au moins se poser des questions, c'est tout bénèf.)
Le lendemain, en début de marche, elle sort un chocolat et balance le papier par terre. Comme ça. Devant mes yeux exorbités, elle se reprend et ramasse son déchet. N’empêche que son réflexe est de jeter ses emballages !
Pareil pour notre chauffeur. Pour me réchauffer en attendant le lever du soleil, je ramassai les ordures autour de moi – suivie cette fois-ci par ma nounou. Il m’observa pendant une bonne demi-heure et une heure ou deux plus tard, à la pause, je vis une bouteille jaillir de sa voiture : il se débarrassait de la bouteille d’huile sur le bas-côté.(Au passage, je me demande quand et comment moi et la plupart de mes congénères occidentaux avons perdu cette nonchalance de cracher un chewing-gum par terre ou de nous débarrasser de son papier comme ça, sans attendre une poubelle ?)
Montrer l’exemple n’est peut-être donc pas suffisant. Il est aussi bon d’expliquer. Ou bien de mettre des amendes (quand il s’agit de payer les gens du monde entier comprennent plus vite, c’est marrant). Ou les deux.
Lors d’un voyage d’entreprise dans une réserve naturelle au Népal, un des Indiens de mon groupe avait jeté une cannette vide par la fenêtre du minibus. Autant te dire que mon boss français (qui l’avait ramassée) s’en était étranglé. Pour éviter au patron de péter une durite et à l’Indien de se payer la honte, je pris les choses en main. J’interdis à mes collègues de jeter le moindre papier par terre pendant notre séjour, sans poser de questions. Et lors de notre réunion suivante, je passais une demi-journée en workshop sur l’environnement, en essayant de simplifier au maximum et d’utiliser des exemples qui leur parlent. L’homme à la canette fut le plus enthousiasmé ! On ne lui avait jamais dit tout ça, et ce qui nous semble à nous aujourd’hui un simple geste civique (d’utiliser une poubelle) lui paraissait génial. Il a même fait imprimer des tee-shirts pour ses enfants et utiliser mon power point dans son village pour informer ses congénères !
(Après il faut aussi que le ramassage et le traitement des ordures suivent derrière, car on me rétorque souvent « à quoi bon ? ».)
L’école est un bon moyen de faire changer les choses, et certains établissements (les plus privilégiés pour l’instant) ont embrassé la cause de l’environnement : les enfants ne veulent plus utiliser de pétards, brûler les démons pour Dusserah, allumer des lampes électriques pour Diwali, et font même des collectes de pochon de lait !
Un des piliers de la campagne du Gouvernement actuel est le "nettoyage de l’Inde" (Swachh Bharat ou Clean India Mission), à savoir surtout l’éradication de la défécation en public, avec la donnée de plus de 50% des Indiens qui s'y adonnaient en 2015. Encore faudrait-il traiter les eaux derrière parce qu’aujourd’hui 98% des excréments ne sont pas traités. En plus, ils n'y a pas de système de vidage/traitement des fosses septiques, ce qui repose donc sur une activité manuelle (le manual scavenging). En soi, on peut arguer qu'il n'y a pas de sot ou honteux métier et il faut bien que les gens de cette caste d'intouchables dédiée au vidage des égoûts et des chiottes des autres vivent. Mais au nom du respect de l'homme, cette activité est devenue illégale en 2013. Comme cette loi n'était pas très claire (le scavening n'est interdit que si le travailleur n'a pas d'équipement de protection, ce qui n'est pas défini par le texte) et qu'il n'y a pas toujours de technologie adéquate ou rentable pour les remplacer, cette pratique perdure. Les quelques 5-6 millions de toilettes construits en quelques années sont remplis en quelques mois et ne se vident pas tout seuls... Alors peut-être que chier sur le bord de la route, si ça dérange pas les Indiens (et certains se battent pour conserver ce droit), ce n’est pas si terrible.
Et puis il y a d’autres priorités comme :
- Accès de tou(te)s au gaz (ce qui évite de brûler du bois et des bouses dont la fumée provoque des maladies chez les femmes qui cuisinent dans des cagibis pas aérés et qui pourraient utiliser le ramassage passé au ramassage à meilleur escient – mais 45% du gaz/LNG est importé en Inde (surtout du Qatar, de l’Australie et de la Russie) sachant que le gaz naturel représente 8,7% de l’électricité produite en Inde, derrière le pétrole brut (10.3%) et le charbon (72%)).
- Accès de tou(te)s à l’eau potable.
- Nettoyage des plastiques qui polluent de partout.
- Développement des énergies renouvelables.
Bref, un vaste sujet...
08:30 Publié dans Histoires de Samouraï, IncredIble India | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : inde, pollution, montrer l'exemple | Imprimer |
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lundi, 28 octobre 2019
Le Cachemire pour les nuls
Le Cachemire est une « petite » région montagneuse au nord de l’Inde où il fait bon vivre. Normalement.
D’abord centre de l’hindouisme puis du bouddhisme, le Cachemire a connu son premier dirigeant musulman en 1339. Il est ensuite passé entre les mains des Mogholes, des Afghans et des Sikhs.
En 1846, à l’issue de la première guerre Anglo-sikhe, le Cachemire a été cédé par les Sikhs à l’Angleterre, qui en fit un État indépendant. En raison de sa taille – c’était le deuxième territoire des Indes (à peu près un tiers de la France, pour 10 millions d’habitants) –, les Britanniques n’avaient pas vraiment les ressources de l’occuper et ils le vendirent à Gulab Singh, lui-même hindou. La vraie indépendance ne fut que de courte durée car une dizaine d’années plus tard, cet État princier fut mis sous la souveraineté de l’Angleterre, et ce jusqu’en 1947.
Au moment de la partition, les Anglais demandèrent aux Etats de leur Empire de choisir leur camp : musulman (Pakistan) ou hindou (Inde). À ce moment-là, le Cachemire est un État à majorité musulmane dirigé par un Maharajah hindou qui, lui, préfèrerait tout bonnement l’indépendance, ni indien ni pakistanais. Ce fut donc le statu quo, l’attentisme, d’août à octobre 1947. Mais ça titillait dur Indiens et Pakistanais d’annexer cette région, et ce sont ces derniers qui cédèrent les premiers à la tentation. Le Cachemire demanda alors de l’aide à l’Inde, qui n’accepta qu’à la condition que le Maharajah signe l’accession du Cachemire à l’Union indienne. Avec toutefois un petit bémol : le Cachemire conserva le pouvoir d’avoir une constitution séparée, d’avoir son propre drapeau et d’être autonome quant à son administration interne. Mais surtout, seuls les Cachemiris avaient le droit d’acheter des terres dans la région.
Fin. Ou début de la débâcle pour cette région désormais disputée et « occupée » par l’Inde, le Pakistan et la Chine (qui a profité des échauffourées pour s’immiscer dans le conflit dans les années 60). L’Inde administre l’État du Jammu-et-Cachemire, le Pakistan les territoires de l’Azad Cachemire et du Gilgit-Baltistan et la Chine la région de l’Aksai Chin et la vallée de Shaksgam.
En août 2019, l’Inde a décidé de retirer à la région du Cachemire qu’elle administre son statut spécial (le fameux article 370), dans l’esprit « t’es Indien ou tu l’es pas » – même si l’Inde n’a pas jugé nécessaire de poser la question au peuple cachemiri (on voit ce que ça a donné avec le Brexit, hein), et a préféré y aller manu militari (c'est-à-dire en isolant la population, coupant les télécommunications etc. pendant plusieurs semaines, la région étant une poudrière, les droits de l'homme ne font pas le poids).
Prochaine étape annoncée : récupérer la partie contrôlée par le Pakistan (article). À l’heure où le monde craint les attaques terroristes des extrémistes musulmans, M le Modi n’a pas froid aux yeux.
Au-delà des idéologies nationalistes et religieuses – disons que le conflit de février 2019 entre l’Inde et le Pakistan mené haut la main par le Premier Ministre lui a en grande partie valu sa réélection en mai – la région est aussi importante en termes de ressources d’eau. Surtout pour le Pakistan. Le Pakistan dépend entièrement de l’Indus pour son réseau hydrographique – d’ailleurs, peu après l’indépendance, l’Inde a fermé certains robinets (intentionnellement ou pas, on ne sait pas) et le Pakistan l’aurait senti passer.
Le bassin hydrographique de l’Indus est divisé entre le Pakistan, qui représente environ 60% de la superficie du bassin versant, l’Inde (20%), l’Afghanistan (5%) et le Tibet (15%). L’Inde dépend de l'Indus au nord-ouest (Punjab, Haryana, Rajasthan) et du Gange au nord-est. L’Indus prend sa source au Tibet, traverse le Ladakh, passe par le PoK (le Cachemire occupé par le Pakistan) avant de terminer au Pakistan.
Selon le Traité de l’Eau de l’Indus, signé en 1960 par le Pakistan et l’Inde, le premier a des droits exclusifs sur les affluents occidentaux (Indus, Jhelum et Chenab qui prennent tous deux source dans le Cachemire indien) et la seconde sur les affluents orientaux (Sutlej-Beas et Ravi). De plus, ce traité autorise l’Inde à exploiter le potentiel hydroélectrique des rivières Jhelum et Chenab, tant que cela ne réduit ni ne retarde l’approvisionnement en eau du Pakistan - ce qui est souvent subjectif et a fréquemment requis l'intervention d'instances internationales d'arbitration. En ce moment d'ailleurs, l’Inde a de gros projets de barrages, ce qui inquiète ses voisins. Par ailleurs, le Pakistan et l’Inde ont déjà beaucoup endommagé l’Indus pour permettre l’irrigation et l’hydroélectricité de la région.
Update : Depuis mi-octobre, les lignes fixes sont rétablies et les lignes de téléphonie post-paids également.
08:30 Publié dans IncredIble India | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : inde, cachemire, kashmir, indus, pakistan, chine, modi, crise de l'eau, barrages, colonie, décolonisation, indépendance, hindou, musulman, eau, rivières | Imprimer |
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