Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 26 mars 2020

Je vais bien, tout va bien, je suis gai, tout est gai ! Ou pas… - Le Covid vu par une Française en Inde - 26.03

  • Nombre de cas en France : 29 155 (1 696 morts)
    • Jour de confinement : 9
  • Nombre de cas en Inde : 649 - dont 43 étrangers apparemment (13 morts)
    • Jour de confinement à Gurgaon : 4 / National : 2

Ma nounou parle en coréen à Samourai Junior, ça le fait tourner en bourrique – elle est Népalaise, rien à voir. Mais elle est fan de sitcoms coréennes.

Mon Samourai de 5 ans fait des sophismes : “I hate the world ! ” Ah bon, mais pourquoi ?? “Corona virus is in the whole world [and I hate corona virus] so I hate the world!” Quant à moi je vais devenir chèvre s’il m’appelle une fois de plus… Ou bien je vais donner mon boulot à la nounou et m’occuper de lui ;)

À part ça, de nouvelles difficultés techniques apparaissent tous les jours. Internet a 2 de tension. Amazon ne livre toujours pas. Les employés du gaz ne sont plus autorisés à entrer dans la résidence et nous découvrons les joies de devoir transporter une bombonne sur 200 mètres. Certains voisins se disent près à aider mais les chefs de la résidence s’insurgent au nom de la distanciation sociale.

Inde,coronavirus,corona,covid,épidémie

À Mumbai, certains magasins de quartier s'organisent

Des propriétaires qui ont peur de se faire infecter virent des soignants de leurs auberges de jeunesse. Et parfois ces derniers se font taper dessus par les flics quand ils essayent d’aller bosser – on a dit on reste à la maison bon sang ! Les flics commencent d’ailleurs à débloquer et donner du bambou sur tout ce qui bouge. En même temps, ils doivent être sur les dents, dehors à bosser alors que le Premier Ministre a dit que quiconque sortait aller mourir et tuer sa famille. Dans le Punjab, certains policiers auraient acheté tout le stock de légumes d’un vieux vendeur qui refusait de rentrer chez lui avec ses produits.

Inde,coronavirus,corona,covid,épidémie

Certains policiers ont des punitions particulières - une punition typiquement indienne pour les enfants: ils doivent se tenir le lobe des oreilles et faire des accroupissements. Ça fait plus mal à l'ego qu'aux abdos!

Nos voisins autrichiens se font la malle – leur Gouvernement a donné à ses nationaux résidant en Inde leur « dernière chance » d’être rapatriés et leur entreprise a décidé de la saisir, un peu contre leur gré. Ça me rend triste de les voir partir ; ils sont un petit peu des parents de substitution – même si j’ai vraiment du mal à les comprendre avec leur accent à couper au couteau. (L’ambassade de France est en train d’organiser le rapatriement des quelques 2 000 Français en Inde qui ne sont pas résidents ; ils seraient 100 000 dans le monde. Pas évident quand les transports sont annulés, déjà pour organiser un avion international depuis une grande ville et ensuite pour acheminer les gens depuis de plus petites villes. Et certains se payent encore le luxe de refuser de monter parce qu’ils refusent de payer 450€ de billet. Va savoir leur plan de survie à ceux-là, quand tu sais que les hôtels sont fermés, sauf ceux qui sont accrédités pour de la quarantaine, et que les Indiens ont comme qui dirait pas envie d’héberger ces Occidentaux qui ont amené la maladie avec eux. D’ailleurs, il existe une initiative pour aider les Français à l’étranger : SOS un toit pour les Français. www.sosuntoit.fr).

Notre voisine espagnole déprime, elle garde le rangement des placards pour plus tard mais du coup elle s’ennuie déjà. Pendant le petit déjeuner, j’ai vu la tête de son mari, à moitié bouffée par un masque, passer par-dessus la barrière pour regarder dans le jardin. Il cherchait ses gosses (qui ne sont pas censés sortir) et il a failli me faire avoir une crise cardiaque.

Ma voisine de Turin panique. Son mari est au Texas depuis janvier. Elle doit partir dimanche en Italie pour ensuite le rejoindre, avec leurs deux fils ados. Mais c’est pas gagné. En attendant, elle ne perd pas le nord, et me propose de me vendre son surplus de vin italien !Si elle reste toute seule un mois confinée, y aura ptêt plus beaucoup de stock à la fin ;) M'enfin, les wine shops semblent considérés d'utilité publique - à juste titre m'est avis! - et ils sont encore ouverts, bien achalandés et pas pris d'assaut, à ma plus grande surprise.

Une autre voisine a invité mon fils à jouer avec sa fille, ils sont super potes. Apparemment, le message du « chacun chez soi » a du mal à imprimer. C'est peut-être pour ça que la mise en place du confinement est un peu musclée et sans concession. Si chacun y va de son exception, avec 1,3 milliards de gens, ça va être ingérable.

Ce soir, je vais boire un coup, de balcon à terrasse, avec notre autre voisine à qui j'ai parlé pour la première fois il y a deux jours. C’est incroyable mais je n’ai jamais autant parlé avec mon entourage que depuis que nous sommes confinés.  

Le temps est tristoune. Alors que l’été devrait être bien installé, il vente, pleuviote, bref du jamais vu. Du coup, les températures sont clémentes, ne nous plaignons pas !

Inde,coronavirus,corona,covid,épidémie

La nature reprend ses droits, les feuilles ne sont plus ramassées.

Corona, coronavirus, virus, covid, covid-19, Inde

mercredi, 25 mars 2020

C’est parti mon kiki - Le Covid vu par une Française en Inde - 25.03

  • Nombre de cas en France : 25 233 (1 331 morts)
    • Jour de confinement : 8
  • Nombre de cas en Inde : 562 (9 morts)
    • Jour de confinement à Gurgaon : 3 / National :1

Ça y est, Modi ne blague pas. Confinés. Tous. Et ça va barder pour ceux qui ne s’y plient. Pour 21 jours.inde,corona,coronavirus,covid,épidémie,lockdown,confinement

Pour ceux qui sont long à la comprenette, il nous a montré un poster Co pour Koi (personne), Ro pour Road (rue), Na pour Nahi (non). Co-ro-na = Personne-dans-la-rue

Les chantiers sont arrêtés – les policiers empêchent les ouvriers d’accéder aux sites. D’ailleurs, ils vont aussi dans les quartiers où vivent les employés de maison pour les empêcher de sortir de chez eux. Du coup, certains errent, cherchant à rentrer chez eux sans moyen de transport :

 

inde,corona,coronavirus,covid,épidémie,lockdown,confinement

Même si l'activité des entreprises de première nécessité est autorisée, les travailleurs n'arrivent pas à aller sur leur lieu de travail. Il y a un système de pass, qui nécessite entre autres d'avoir une pièce d'identité et des photos d’identité, ce qui n'est pas le cas de bon nombre d'ouvriers. Et d’un autre côté, les familles ne laissent pas leurs hommes aller travailler, effrayés par le discours du Premier Ministre qui a utilisé des mots comme « restez chez vous ou vous allez mourir et tuer votre famille ».

inde,corona,coronavirus,covid,épidémie,lockdown,confinement

Mon Indien préféré a voulu aller en voiture au mandi (le marché de gros) ce matin, et la police ne l’a pas laissé passer. Nos petits magasins de quartier sont fermés, les entreprises qui livrent de la nourriture n’ont pas assez de personnel pour assurer les livraisons. Les vendeurs de fruits et légumes n’opèrent plus. Le supermarché local est ouvert et bien achalandé. Comme en France, une queue à l’extérieur s’impose, avec distanciation sociale. D’ailleurs j’ai proposé de faire les courses pour une voisine nouvellement débarquée de Dubai qui n’a pas de voiture (et Uber ne fonctionne plus) et elle s’est lâchée, glaces et tout ça ! Le Gouvernement recommande de se faire livrer les courses – un luxe auquel nous sommes habitués ici – mais ça risque de prendre un peu de temps à se mettre en place. Surtout si les livreurs se prennent des coups de bambou quand ils veulent aller bosser :

La bonne nouvelle, c’est que les voisines ont cessé de pleurer à cause de leur femme de ménage que la copropriété ne laissait pas passer. Et surtout que certaines ONG ont été autorisées à organiser des distributions de nourriture pour certains.

La moins bonne nouvelle c’est que les singes sont arrivés dans la copropriété – ils vont commencer à avoir faim puisque les temples sont fermés – pourvu que ça ne dégénère pas. Et qu’internet s’est considérablement ralenti cet après-midi.

inde,corona,coronavirus,covid,épidémie,lockdown,confinement

Pour conclure, globalement, cela ressemble à un miracle. J’aurais pas cru qu’on arriverait à boucler les Indiens chez eux, ne serait-ce que parce que je ne vois pas comment ceux qui vivent à 5 dans 15 mètres carrés peuvent survivre. Le confinement est mis en place de manière musclée. Espérons que toutes ces mesures ont été prises à temps. Apparemment, elles vont encore se durcir.

Corona, coronavirus, virus, covid, covid-19, Inde

lundi, 23 mars 2020

Le Covid vu par une Française en Inde - 23.03

  • Nombre de cas en France : 19 856 (860 morts)
    • Jour de confinement : 6
  • Nombre de cas en Inde : 468 (9 morts)
    • Jour de confinement à Gurgaon : 1

Assez parlé de moi et de mes petites préoccupations de privilégiée. Parlons d’une population à risque : les personnes âgées, qui ne sont pas franchement à l’abri en ce moment en Inde : soit ils vivent avec leurs petits-enfants, soit ils sont dans la rue…

Inde,coronavirus,corona,virus,covid-19,épidémie,santéSais-tu qu’il y a en Inde 104 millions de personnes de plus de 60 ans, avec une quasi-parité d’hommes et de femmes (source). 15 millions vivent seuls, et 75 % de ces solitaires sont des femmes. Cela fait plus de 11 millions de femmes âgées livrées à elles-mêmes (source).

En plus, 65 % des personnes âgées vivent pauvres et sans source de revenus (source). Or personne ne s’intéresse à ces oubliés de la croissance, à ces vieux parfois abandonnés qui ne feraient qu’exceptionnellement le choix de vivre en autarcie – sauf pour les vrais et rares Indiens traditionnels qui abandonnent tout pour vivre l’étape finale du renoncement au monde, sannyasa, où l’homme, ascétique, se retire du monde.

Mais la réalité est telle que le législateur a dû intervenir en 2007 avec le Maintenance and Welfare of Parents and Senior Citizen Draft Bill. Désormais, théoriquement et légalement, les enfants et petits-enfants biologiques qui abandonnent ou maltraitent leurs « vieux » de plus de 60 ans, et ceux qui ne leur versent pas de pension alimentaire, sont passibles d’emprisonnement (3 mois maximum dans le premier cas, 1 mois dans le deuxième).

Tu hallucines ?? Sache qu’en France, le droit (article 205 et suivants du Code civil) oblige également les enfants à aider leurs parents dans le besoin ! Le montant de l’obligation alimentaire sera calculé par le tribunal selon les capacités financières des descendants et les besoins du bénéficiaire, sauf si ce dernier a manqué à ses devoirs envers sa progéniture (abandon, agressions, etc.). En revanche, contrairement au droit indien, le droit français est muet sur les violences et la maltraitance des parents par les enfants… Les Indiens auraient-ils en plus la main leste sur les anciens, à qui on doit pourtant un respect inconditionnel ?

Une étude, Recent Research on Widows in India, de Marty Chen et Jean Dreze (1995), a par ailleurs montré qu’à âge égal, le taux de mortalité des veuves est 86 % plus élevé que chez les femmes mariées – et 80 % chez les hommes. Il est donc évident que les privations sont majeures en cas de veuvage.

Dans un contexte où il n’y a ni retraite ni Sécurité sociale, où 97 % de la population vit avec moins de 300 dollars par mois (ce qui comprend les 22 % de la population qui vivent sous le seuil de pauvreté défini en 2015 à 1,90 dollar par jour), et 14,5 % sont sous-nourris (selon le rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture de 2017 (source)), la sélection naturelle reprend parfois le dessus. Une bouche à nourrir est une bouche à nourrir ; et une bouche inutile est une bouche en trop.

Notons d’ailleurs qu’en matière de sécurité matérielle et sociale, en Inde, c’est la famille, voire le clan plus élargi, qui en fait office. L’argent qu’un membre gagne est un peu celui de tous les autres. Dans les campagnes, où les gens gagnent leur pitance au jour le jour et n’ont presque pas d’économies, c’est le village qui fait figure de banque, qui avance les roupies en cas d’urgence, pour un mariage ou un accident. Traditionnellement, les gens possèdent un réseau très dense (qui reposent sur la famille au sens large, les communautés religieuses et ethniques) et très actifs. Ils s’entraident. En espérant qu’on leur rende la pareille quand leur tour d’être dans la dèche viendra, mais surtout par obligation morale. En fin de compte, ce système est la seule forme d’assurance contre la mauvaise fortune (une perte d’emploi ou une mauvaise récolte), avec des cadeaux, des prêts et d’autres formes d’assistance en cas de coup dur. D’où l’importance de maintenir de bonnes relations avec toute la famille, les voisins, et tout le monde. Même si cette assurance informelle a ses limites, notamment quand la maladie frappe durement, car alors les coûts d’hospitalisation sont en général tellement élevés qu’on préfère laisser la famille se débrouiller, le contrat social n’étant pas assez élaboré pour gérer cette situation.  

En plus du facteur de précarité économique, il y a également les nouvelles tendances qui changent complètement la donne pour les personnes âgées : les quarantenaires d’aujourd’hui, urbains et aisés (qui ne représentent qu’une minorité numérique, mais quand même), avec une taille de foyer limitée, extrêmement mobiles (en Inde ou à l’étranger) ne sont plus sûrs du tout que leurs enfants s’occuperont d’eux, quand bien même cette tradition est millénaire. Or les structures pour accueillir les personnes âgées en Inde sont quasi inexistantes ; elles se développent depuis une dizaine d’années, mais restent l’apanage des riches.

Les recherches manquent sur le sujet, mais cette misère, si elle est tue, n’est pas cachée : ces vieux qui finissent dans les mouroirs de Varanasi, dans des ONG comme Earthsaviours, au carrefour à faire la manche, enfermés dans une chambre du foyer de leurs enfants en attendant la fin (nourris, mais déjà invisibles) sont là pour rappeler cette réalité. Dont on ne parle pas, ni les autorités, ni le grand public. Il faut dire, ça fait tache. Ça ne colle pas trop avec les valeurs proclamées de suprématie de la famille, de respect absolu de l’aînesse, de toute-puissance de la belle-mère qui, donc, parfois, finit par déchoir. Patience.

Pendant ce temps, Tina Turner chante des mantras hindous, alors que dans le monde entier, des multites de gens confinés se mettent au yoga et à la méditation :

Corona, coronavirus, virus, covid, covid-19, Inde