Langues indiennes (mercredi, 17 septembre 2008)

Et toi, tu parles Indien ? Mais bien sûr…

 

En bref

 

En il faut bien se représenter que l’Inde qui ne connaît une unité territoriale que depuis 61 ans (Indépendance) n’a jamais connu d’unité linguistique. C’est juste plein de petits territoires. Et donc plein de langues… Le sanskrit, le persan puis l'anglais furent donc successivement et concurremment les langues de pointe du sub-continent qui, tardivement, et de l'extérieur, fut nommé Inde.

 

Le sanskrit et le tamil sont les langues classiques de l’Inde d’après le Gouvernement : la littérature sanscrite (dans le Nord de l’Inde) remonterait à 5 000 ans avant J.-C.* et le Tamil à 3 000.

Vers 5 000 ans avant J.-C. apparaît donc le sanskrit, la langue du védisme, la religion ancêtre de l’hindouisme. Le sanscrit, la plus vieille langue écrite de l’Inde (dans les années 400 avant J.-C., le grammairien Panini a écrit une description très détaillée du Sanskrit classique), va se développer comme la langue des brahmanes, réservée à une élite et ne sera jamais une langue d’usage ; mais c’est aussi la base de nombreuses langues modernes, y compris l’Hindi et l’Urdu.

Puis vers le 10ème siècle commence le déclin du sanscrit, au profit du persan. Le persan, une langue cousine du sanskrit mais modernisée et pénétrée d'influences arabes, s’est imposé avec la domination moghole. C’est d’ailleurs demeuré la langue officielle de « l'empire des Indes » jusqu'en 1947 et continue à jouir d'un grand prestige, même en Inde indépendante. Dorénavant, les sultans musulmans – parfois des convertis – sont au pouvoir.

Et puis l’anglais, comme on sait…

 

Les langues parlées aujourd’hui

 

Il y a aujourd’hui, en Inde :

-          22 langues officielles, et plus de 1 000 langues parlées (1 652).

-          D’après un recensement en 2001, 29 langues maternelles étaient parlées par plus d’un million de gens, 122 par plus de 10 000.

-          L’article 343 de la Constitution indienne reconnaît l’Hindi et son script Devanagari comme la langue officielle du gouvernement central de l’Inde.

-          Pour assurer une continuité, la Constitution permet l’usage de l’Anglais pour des communications officielles.

-          L’article 345 stipule la reconnaissance constitutionnelle aux « langues officielles » de l’union : toute langue adoptée par la législation d’un Etat est reconnue langue officielle de l’Etat.

 

Les langues indiennes appartiennent à 4 familles (les 2 premières étant les plus importantes : 98%) :

-          Indo-européenne** (les 54 langues de ce groupe sont surtout parlées dans les régions Nord et Centre à 75% de la population indienne les parlent),

-          Dravidienne (les 20 langues de ce groupe sont surtout parlées dans le Sud à 23% de la population indienne les parlent : tamoul dans le Tamil Nadu, kannada dans le Karnataka, telugu dans l’Andrah Pradesh, malayalam dans le Kerala),

-          Mon-Khmer ou austrio-asiatique (les 20 langues de ce groupe sont surtout parlées dans les régions Est),

-          Sino-tibétaine ou tibéto-birmane (les 98 langues de ce groupe sont surtout parlées dans les régions himalayennes, au Nord).


Population selon la langue parlée (en 2000) : hindi 337 millions, bengali 69 millions, telugu 66 millions, marathi 16 millions, tamoul 53 millions, urdu 43 millions, gujarâtî 40 millions, kannada 32 millions, malayalam 30 millions, oriya 30 millions, punjabi 23 millions, assamais 13 millions et sindhi 2 millions.

 

Une petite histoire du sanscrit (extrait de :  Une histoire de l'écriture et de la littérature sanscrites_Michel Angot_Avril 2002.pdf)

 

Le sanskrit : une langue raffinée qui n'a jamais été une langue d'usage

Le nom du sanskrit, contrairement à ceux des autres langues, n'est en rien lié à un peuple ou un État déterminés. Le persan, l'anglais, le français, furent d'abord le nom de la langue régionale parlée par un certain peuple avant de devenir, de gré ou de force, les langues parlées dans un certain État et même d'être exportées selon des modalités diverses dans quelques parties du monde. Or il n'y a jamais eu un « peuple sanskrit » ni un « État sanskrit », ni un État ayant porté un autre nom mais où le sanskrit aurait été la langue nationale ou la langue prépondérante. Quand ce mot fut employé en l'appliquant à cette langue, le « sanskrit » avait déjà un long passé anonyme : le terme est ignoré du Veda et même des fondateurs de la grammaire. Et, quand elle fut adoptée, cette épithète signifiait seulement que la langue en question était soumise, plus rigoureusement que d'autres, aux lois de la grammaire. Samskritam dont nous avons fait « sanskrit », ou « sanscrit » selon certains dictionnaires, signifie en effet « raffiné, achevé » et ce raffinement était fonction de la manière dont ses utilisateurs brahmanes se représentaient cette langue. Il faut attendre l'époque contemporaine pour qu'un certain nationalisme indien imagine le sanskrit comme langue nationale de l'Inde. Ce trait doit être souligné car il constitue un caractère essentiel du sanskrit et explique une partie de sa spécificité : le sanskrit n'a jamais été soumis aux pressions de l'usage comme le furent et le sont le français ou l'allemand.

 

Une langue fixe, pérenne et sacrée au seul usage des brahmanes

Il faut nécessairement comprendre ce que furent les brahmanes, les créateurs et principaux utilisateurs du sanskrit. Que ce soit la langue védique, alias le sanskrit « archaïque », ou la langue « classique », le sanskrit est demeuré attaché à cette infime minorité de la population. Le sanskrit, tant védique que classique, fut d'abord la langue des brahmanes, ces êtres qui, dans la hiérarchie des créatures, jouissent d'un statut supérieur, les seuls qui soient réputés être pleinement des hommes.

Qu'est-ce qui à l'époque – rappelons que nous ne sommes ni en train de décrire la société indienne d'aujourd'hui ni la façon dont le sanskrit est considéré de nos jours – assurait aux brahmanes leur supériorité sans cesse affirmée dans les textes ? Ce n'est pas leur fonction religieuse d'officiants, de « prêtres » dirait-on, car ils n'ont pas le monopole de cette fonction et, à la différence de nos prêtres, ils sont choisis par ceux qui les emploient et les payent. D'ailleurs ils ne sont officiants que pendant la durée de la cérémonie. Ils n'ont pas non plus, loin s'en faut, le monopole du religieux, une dimension qui est diffuse dans tout le corps social. Les brahmanes n'ont pas accès par statut aux pouvoirs politique ou économique. Ils ne sont pas comparables aux scribes de l'Égypte antique : le sanskrit n'est écrit que tardivement et plutôt contre la volonté des brahmanes pour qui toujours la connaissance est parole et qui réservent les grises nuances du monde à la noirceur de l'écrit. Les brahmanes ne forment pas non plus, comme les mandarins de l'Empire chinois, un corps d'administrateurs au service de l'État. Ces deux fonctions, scribes et administrateurs, étaient réservées à une caste spécifique dont le statut fut toujours inférieur à celui des brahmanes même si certains de ces derniers pouvaient participer, à titre de conseillers, à l'exercice du pouvoir.

Non ! Ce qui assurait leur prééminence c'était le privilège qu'ils avaient d'énoncer en sanskrit, de transmettre par la voix et de garder en mémoire les normes du monde et des hommes ; ils étaient en position d'énoncer des normes pures, de dire le vrai c'est-à-dire ce qui, condamné à ne pas exister, devait être mis à l'abri pour demeurer à jamais la source du réel changeant. Cette distance entre le vrai qu'ils énoncent et le réel qu'ils inspirent caractérise les brahmanes pour le principal et donne sa saveur à la langue sanskrite qu'ils utilisent à cette fin. C'est ainsi qu'on peut expliquer les trois caractères majeurs de la langue des brahmanes : comme les normes sont fixes, appartiennent à tous les temps et doivent se tenir à distance de l'histoire, la langue qui les énonce se doit d'être fixe, pérenne et sacrée. Adoptant la vieille langue védique archaïque, les brahmanes l'ont adaptée à leurs besoins spirituels et intellectuels et ont ainsi créé le sanskrit qu'ils ont fixé, pérennisé et sacralisé. Il fallait bien que cette position des brahmanes soit fondamentalement acceptée par tous ou par une majorité et, même si elle a été discutée par certains, les bouddhistes notamment, les opposants ont eux-mêmes constitué une classe d'érudits qui a finalement adopté le sanskrit pour discuter avec les brahmanes ; souvent ces érudits étaient d'origine brahmanique.

 

Début d'un lent déclin

Vers le 10ème siècle, commence un lent déclin : une nouvelle religion s'installe brutalement dans la plaine indo-gangétique et avec elle la langue de culture des nouveaux arrivants : le persan, une langue cousine du sanskrit mais modernisée et pénétrée d'influences arabes ; le persan est demeuré la langue officielle de « l'empire des Indes » jusqu'en 1947 et continue à jouir d'un grand prestige, même en Inde indépendante. Dorénavant, les sultans musulmans – parfois des convertis – sont au pouvoir. En 1565, le dernier grand Empire hindou disparaît. Tout cela a évidemment un impact important sur le sanskrit. Notamment, même si les brahmanes n'ont pas été totalement écartés des cercles du pouvoir, même s'ils ont appris le persan et ont été associés à la gestion des différents sultanats musulmans, ils ont cessé de fait d'occuper dans la société la place qui était la leur jusque-là. Ils n'ont pas vaincu l'islam comme ils avaient vaincu le bouddhisme et en Inde même, ils ont été sur la défensive. Les circuits économiques se détournent d'eux. Or ils ne pouvaient se consacrer à l'étude des lettres sanskrites que parce que des rois hindous et vainqueurs, en leur octroyant régulièrement des terres, leur permettaient d'avoir des revenus. Dès lors que les rois hindous sont systématiquement vaincus, qui va entretenir les brahmanes ? Comment vont-ils survivre ? Cela les fait dépendre plus étroitement qu'auparavant de la générosité des fidèles, de la société civile. Par ailleurs, avec le persan, arrivent d'autres lettrés, en liaison directe avec l'espace arabo-musulman, lequel brille alors de tous ses feux. De nouveaux savoirs, de nouvelles pensées se font jour. Le quatrième millénaire de l'histoire du sanskrit est celui d'une lente décadence : confite dans sa perfection, la langue sanskrite n'est plus au service d'une pensée neuve ou novatrice ; les ouvrages oscillent entre résumés ou exposés didactiques et commentaires prodigieux d'érudition mais quelque peu vains. Même le domaine du religieux échappe peu à peu au sanskrit : les grandes œuvres sont traduites, ou plutôt adaptées dans les langues vernaculaires. Le Râmâyana sanskrit de Vâlmîki est ainsi la source principale de l'Irâmâvatâram, « L'avatâr de Râma », de Kamban (entre le IXe et le XIIe siècle), considéré comme le chef-d'œuvre de la littérature tamoule, au sud de l'Inde. De même, le Râmcaritmânas, « Le lac spirituel de la geste de Rama », écrit en hindî par le brahmane Tulsî-Dâs (1532-1623). Dans l'Inde d'aujourd'hui, quand on parle du Râmâyana, on fait référence à ceux de Kamban, de Tulsî-Dâs, ou à d'autres adaptations qui ont été parfois totalement réécrites dans les langues indiennes. Les ouvrages proprement religieux rédigés en sanskrit sont alors doublés par leurs traductions en hindî, en tamoul… aujourd'hui certains religieux ont même oublié l'original et sont tout surpris quand ils apprennent que le texte qu'ils tiennent pour l'original est en fait une traduction ou une adaptation du sanskrit.

 

Sources :

http://www.dma.ens.fr/culturemath/histoire%20des%20maths/htm/Keller06_Inde/Keller_Inde.htm

http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/une_histoire_de_la_langue_et_de_la_litterature_sanskrites_1.asp

http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/college/04-05/conferences/01-05-langage/02-demoule-renfrew/index.htm

http://www.indianlanguages.com/main/index.php

http://pagesperso-orange.fr/compilhistoire/vedisme.htm

http://www.cs.colostate.edu/~malaiya/scripts.html

http://indiansaga.com/languages/index.html

 

* Les plus anciens textes que nous connaissons de l’Inde s’appellent les Védas ; ce sont des textes sacrés. La date de fixation des Védas (qui comme la Bible ou l’Odyssée sont formés d’une succession de textes oraux d’âge divers) est sujet à débat : la fourchette pour la fixation de ces poèmes va de 5 000 avant Jésus-Christ à 1 500 avant Jésus-Christ ; en général on coupe la poire en deux et on évoque environ 2 500 avant Jésus-Christ pour marquer le début de l’ère védique, qui succède à une civilisation dont nous avons les traces archéologiques mais dont nous ne savons pas grand chose, faute d’avoir déchiffré son écriture.

Vers 500 avant J.-C. naissent de nouvelles religions en réaction au védisme, il s’agit notamment du Bouddhisme et du Jainisme. Leurs premiers textes ne seront pas en Sanskrit, mais dans des langues régionales, «vernaculaires», le pali et le prakrit. Cependant, au fur et à mesure que des écoles de logique, de grammaire et de poétique se créeront au sein de ces religions et qu’elles en viendront à débattre avec leurs collègues hindous, les savants intellectuels issus de ces traditions religieuses se mettront aussi à produire des textes en sanskrit.

 

** Depuis la fin du 18ème siècle (1813 : naissance du terme « indo-européen »), on a reconnu l'existence en Europe et ailleurs d'une « famille » linguistique, dont les origines doivent remonter jusqu'à une époque préhistorique lointaine. La plupart des langues européennes actuelles, ainsi que l'iranien et un certain nombre de langues indiennes, sont membres de cette même famille, que l'on appelle « indo-européenne », et toutes présumées descendues d'une seule langue ancestrale.

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12:51 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : inde, sanscrit, sanskrit, hindi, persan, anglais, brahmanes |  Imprimer |  Facebook |