lundi, 16 octobre 2017
Quand les Indiens ré-inventent la créativité
On me demande souvent de décrire les Indiens. Tâche impossible si il en est. Mais il y a un trait de caractère que j'oublie souvent et qui pourtant explique tellement de choses : c'est le jugaad. Évidemment c’est tellement unique qu’il n’y a pas de traduction française ni même anglaise. Mais je traduirais ça par "démerde". Les Indiens sont des démerdeurs. En puissance. À côté d’eux, MacGyver est un manchot débilitant.
Voici quelques exemples pour illustrer.
Quand Modi, le premier ministre, a lancé sa ‘démonétisation’ fin 2016, il pensait que 70% des Indiens n’oseraient pas déposer leur argent noir à la banque et préfèreraient le détruire, de peur de représailles (amendes, honte, prison etc.). C’était mal connaître ses compatriotes qui ont trouvé des moyens de déposer plus de 99% de tous les billets (source https://www.ft.com/content/7dbe0e14-8d8a-11e7-a352-e46f43c5825d). Notamment en distribuant aux pauvres alentour – genre tu déposes 250 000 roupies (la limite pour ne pas attirer l’attention) pour moi et quand tout est fini, je récupère ca et je te donne 10 000.
Un autre exemple : en décembre 2016 la Cour Suprême a prononcé un jugement : interdiction (elles aiment ça, l’interdiction, les autorités indiennes) de vendre de l’alcool dans un rayon de 500 mètres d’une artère principale (autoroutes nationales ou locales). C’est le résultat d’une campagne de 4 ans d’un accidenté de la route – ironiquement le type a fait une sortie de route en espérant voir un léopard et il s’est attaqué au problème de l’alcoolisme au volant. Il y a bien un problème en Inde, mais l’alcool reste la 3ème cause d’accident après le dépassement de vitesse et le téléphone.
Mais passons. L’objectif de la Cour suprême était de réduire l’alcoolisation des automobilistes. Résultat : 80% des restaurants de notre quartier ont mis la clé sous la porte, du jour au lendemain. Mais il y a des malins qui ont réussi à détourner l’entrée du restaurant, genre tu dois faire deux fois le tour du pâté d’immeubles pour rentrer, soit parcourir les 500 mètres légaux ! Une règle un peu bizarre quand même : 500 mètres ne suffisent pas à dessoûler, que je sache. Le 23 août 2017, la Cour Suprême est revenue sur sa décision et limité cette interdiction en-dehors des villes, sans doute dans l’esprit de limiter l’alcoolisation des chauffeurs routiers, qui, on s’en doute, ne vont pas se souler la tronche dans les « pubs » mais picolent de l’alcool de plastique dans les bouges locaux. Logique ou pression liée aux pertes des restaurants qui ont dû mettre la clé sous la porte et la réduction des impôts sur l’alcool collectés ?
Va expliquer le Jugaad et ses bienfaits à des Suisses… Pour qui la règle est la règle, même si la règle est stupide…
Source : http://www.indiatimes.com/news/meet-wheelchair-bound-harm... ; https://www.theguardian.com/world/2017/apr/25/alcohol-rul... ; http://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nat... ; http://www.thehindubusinessline.com/opinion/measuring-impact-of-demonetisation-in-india/article9459507.ece
08:10 Publié dans IncredIble India | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : inde, jugaad, démonétisation, alcool, route, accidents | Imprimer | Facebook |
lundi, 14 octobre 2013
Pourquoi en Inde on porte des points rouges sur le front ?
Q. Que signifie le point rouge sur le front des femmes ?
A. Et bien, dans des périodes antiques, les hommes indiens avaient l’habitude de s’entraîner au tir à l’arc en visant leurs femmes, le point rouge marquant le centre de la cible. En fait, c'est l'une des raisons pour lesquelles les Indiens avaient beaucoup d'épouses. Vous comprenez, une fois qu'ils maîtrisaient l'art du tir à l'arc et frappaient correctement la cible….
Blague à part, cette question en cache d’autres ! Qui, quand, comment, où ?
On peut distinguer différentes « marques » : le point au milieu front, le trait à la racine des cheveux et les lignes et autres dessins sur le front. Ces marques sont souvent de couleur rouge mais pas que. Pas facile de s’y retrouver !!
Alors qui porte quoi ? Le point rouge signifie-t-il que les femmes sont mariées ?
En Inde du Nord, le point rouge sur le front serait en effet traditionnellement la prérogative des femmes mariées. Mais pas en Inde du Sud. C’est de toute façon devenu un élément de mode, qui varie en forme, couleur et matériau (le sticker – voir photo en haut à droite – fait une concurrence sévère au bindi traditionnel – en bas à droite).
Il semble en revanche que le sindoor appliqué à la racine des cheveux (en haut à gauche) reste l’apanage des femmes mariées (une manière de dire pas touche ! – sindoor et alliance, même combat !).
Les hommes peuvent aussi arborer le tilak, pour des raisons esthétiques ou religieuses.
En fait n’importe qui (Hindou ou pas, homme ou femme, Indien ou pas) portera une marque rouge sur le front après avoir assisté à une puja (cérémonie religieuse) : que ce soit une petite prière à la maison ou au temple, ça se termine par un marquage au front…
Alors… pourquoi ??
D’abord pour des raisons esthétiques : les Indiens trouvent ça beau ! Des goûts et des couleurs on ne discute pas…
Ensuite, le point sur le front est un symbole religieux hindou puisque le tilak, posé sur le sixième chakra (« agna »), représente le troisième œil, ou l’œil de l’esprit, associé aux divinités et aux concepts de méditation et d’illumination spirituel. Il était à l’origine réservé aux « porteurs de la connaissance » : les idoles, les prêtres, les ascètes. (1) Les adorateurs de Vishnou portent le tilak sous forme de U de couleur blanche (obtenue à partir de bois de santal) dessiné autour d'un trait rouge ou noir (voir photo du milieu en bas). Et ceux de Shiva sous forme de trois barres horizontales tracées avec des cendres (milieu en haut). (2)
Mais surtout il y a une explication « scientifique » à tout ça : le corps – le front et le point entre les deux yeux (siège de la mémoire et de la réflexion) en particulier – émettrait de l’énergie sous forme de vagues électromagnétiques. D’où le fait que le stress ou l’inquiétude crée de la chaleur et provoque des maux de tête. (1)
Ainsi, dans le tantrisme, pendant la méditation, l’énergie remonterait de la base vers la tête et quitterait le corps par ce point ; d’où l’idée de « boucher le trou » pour retenir l’énergie. (3)
C’est donc pour se protéger et éviter des pertes d’énergie que l’on marque le front d’une poudre apaisante.
En effet, si la « marque » varie en forme, couleur, matériel et nom ( ‘tika’, ‘pottu’, ‘sindoor', ‘tilak’, ‘tilakam’, ‘kumkum’, ‘bindi’, ‘vermillon’), la base traditionnelle (kumkum powder) s’obtient avec de la poudre de curcuma qui vire du jaune au rouge quand on la mélange à du jus de citron (et un peu d’eau pour en faire une pâte). Certaines versions contiennent du safran. Or et le curcuma et le safran ont des vertus médicinales et agissent contre la douleur ! (4)
De fait, le curcuma est très présent dans la culture indienne. Par exemple, en Andhra Pradesh, les femmes avaient l’habitude d’en appliquer sur (et sous) les pieds quotidiennement pour les protéger (vu qu’elles ne portaient pas de chaussures à l’époque (comme encore souvent aujourd’hui)). (5)
Les Indiens n’ont peut-être pas inventé l’eau chaude* (pas vraiment besoin en même temps !) mais leur science des plantes médicinales est tout simplement passionnante ! Prenez le henné. En plus de rafraîchir, c’est un coagulant pour les blessures ouvertes. D’où la tradition des femmes indiennes de s’appliquer du henné sur les mains (et plus particulièrement au bout des doigts) pour se protéger des blessures inhérentes aux travaux manuels. (6)
Le henné est également utilisé comme teinture.
Et là je dois des excuses à ma mère… A sa énième question, « Dis, pourquoi y a des hommes qui ont des cheveux et la barbe orange ?? », un peu blasée d’ignorer la réponse, j’ai lancé que c’était parce qu’ils avaient utilisé une teinture de mauvaise qualité qui s’était estompée !
Il s’agirait en fait d’une action volontaire de se teinter les poils en orange, avec du henné donc. Certains expliquent que c’est parce qu’ils veulent cacher leurs cheveux gris mais n’ont pas assez d’argent à dépenser dans une teinture (noire) de qualité. (7) De plus l’utilisation du henné peut être reliée à la religion, l’Islam interdisant d’utiliser un autre colorant que du henné. (8) J’ai quand même posé la question à mon commercial qui m’a simplement répondu que quand les gens commencent à avoir des cheveux gris ils se teignent les cheveux, des fois en noir, des fois en orange. Pas besoin de chercher midi à quatorze heures ! N’est-ce pas maman ?? ;)
* Provocation ?? Pas que ! A part le zéro, difficile de citer une invention indienne... Ca veut pas dire qu'ils sont débiles hein ? Ils ont des trucs comme le jugaad (en très bref, une « espèce d’improvisation ingénieuse, une sorte de système D face à l’adversité ». Lire plus ici
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Tilak
(3) http://hinduism.about.com/od/bindis/a/bindi.htm
(4) http://www.safrandugatinais.fr/en/vertus.htm; http://www.healthdiaries.com/eatthis/20-health-benefits-of-turmeric.html
(5) http://www.nandyala.org/mahanandi/?p=925
(6) http://www.ft.com/cms/s/0/d2933fb0-83de-11dc-a0a6-0000779fd2ac.html#ixzz2fW2qoFNh
(7) http://www.earthhenna.com/c158/c105/c98/The-Henna-Plant-c104.html
(8) http://ask.metafilter.com/88073/Why-would-a-Muslim-man-use-henna-to-dye-his-beard-orange
08:00 Publié dans Pourquoi en Inde... | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cheveux, poils, orange, teinture, henné, curcuma, tuméric, safran, épices, point rouge, marque rouge, front, femmes mariées, tika, pottu, sindoor, tilak, tilakam, kumkum, bindi, agna, sixième chakra, énergie, méditation, troisième œil, puja, kum kum powder, vermillon, cheveux orange, jugaad, innovation | Imprimer | Facebook |