vendredi, 05 février 2021
La fascinante histoire du thé indien - 5/5
Les grandes dates de l’histoire du thé en Inde
- 1661-1800 : Popularisation du thé en Angleterre (140 ans)
- 1820-1870 : Développement des plantations de thé en Inde (50 ans)
- (1839-1860 : Guerres de l’opium entre l’Angleterre et la Chine)
- 1880-1900 : Campagnes pour populariser le thé indien dans le monde (20 ans)
- 1901-1936 : Campagne pour populariser le thé en Inde (40 ans)
À la fin de 1936, les villageois indiens étaient habitués au thé. En 1945, même les sans-abri vivant dans les rues de Calcutta buvaient du thé. Mais en 1955, la consommation par habitant en Inde n’était que d’environ 0,23 kilos, contre 4,54 livres en Grande-Bretagne. En 2016, l’Inde, avec 24% de la production mondiale était derrière la Chine (38%) et devant le Kenya (8,6%). Avec 19% de la consommation mondiale, l’Inde était derrière la Chine (38,6%). Pour autant, elle n’occuperait que la 28ème place du classement mondial de consommation par habitant, avec 0,33 kilos consommés par an.
Ma recette de thé indien (masala chai) pour 2-3 personnes :
Faire bouillir 2 tasses d’eau. Quand ça bout, ajouter les épices concassées (dans un mortier c’est plus facile sinon avec une planche à découper et un marteau) ci-dessous. Laisser frémir à feu doux 5 minutes. Ajouter 1 ou 2 tasses de lait puis du sucre (3-4 cuillers à soupe). Porter à ébullition et laisser frémir. Ajouter le thé noir non aromatisé et laisser infuser le temps qu’il vous plaît – dans le Sud on le fait beaucoup moins infuser quand dans le nord. Et voilà !
- 3 cardamomes
- 1 dé de gingembre frais
- 1 bâton de cannelle (env. 3 cm)
- 1 clou de girofle (optionnel)
- 2 grains de poivre noir (optionnel)
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jeudi, 04 février 2021
La fascinante histoire du thé indien - 4/5
Le thé et les castes. Les musulmans de l’Inde ont toujours eu une forte tradition de manger au restaurant ou d’acheter de la nourriture chez des cuisiniers de bazar, mais les hindous de haute caste préféraient traditionnellement manger à la maison. C’est que chaque caste a ses restrictions et habitudes alimentaires et elles risquent d’être enfreintes en mangeant à l’extérieur ; ce qui peut avoir pour conséquence d’être rejeté par d’autres membres de sa caste. En général, les femmes sont beaucoup moins prêtes à abandonner les restrictions de caste que les hommes. Pour elles, qui ne sortent traditionnellement que peu de chez elles, et encore moins du village, enfreindre une règle de caste signifie la perte probable de parents et d’amis. En revanche, les hommes ont beaucoup à gagner d’échanges sociaux libres avec leurs collègues.
Peut-être ceci explique qu’encore aujourd’hui, beaucoup d’Indiens recherchent au restaurant la « ghar ka khana » (c’est l’oxymore indienne par excellence : on veut manger dehors la même chose qu’à la maison). On voit des restaurants avec l’enseigne « pure veg » qui signifient qu’ils n’offrent que de la nourriture végétarienne (on notera au passage l’emploi de l’adjectif « pur », on revient toujours aux histoires de pureté castéistes) ; on m’a dit une fois qu’ils étaient seulement tenus par des brahmanes mais je ne trouve rien qui corrobore cette affirmation. Dernier exemple, les employés de bureau de Bombay peuvent se faire livrer un déjeuner fait maison sur leur lieu de travail. Ce service est censé avoir été lancé par un Anglais au 19ème siècle qui s’est arrangé pour que son porteur apporte le déjeuner à son bureau. 5 000 dabba wallahs livrent ainsi (en train, en vélo et à pied) quelques 100 000 déjeuners chaque jour (voir l’excellent film The Lunch Box sur le sujet).
Le thé aurait alors émergé comme un fédérateur, même si le mot est un peu fort. L’étal ou l’échoppe de thé se serait alors peu à peu développé comme « terrain neutre » du village où des Indiens de différentes religions et des hindous de différentes castes pouvaient se retrouver. Ils offraient aux hommes un espace séparé et compartimenté où ils pouvaient former des amitiés et des alliances intercommunautaires et intercommunautaires sans nécessairement affecter leur position traditionnelle dans le village. Et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le thé en tant que denrée alimentaire étrangère, se situe en dehors des classifications ayurvédiques et n’est donc classifié comme ni pur ni impur. Cette neutralité du thé facilite le partage en toute impunité avec les membres d’une caste normalement rejetée comme partenaire de consommation ou de boisson. Ensuite, le thé en Inde est souvent servi dans de petites tasses en terre cuite qui sont écrasées sur le sol une fois qu’elles ont été utilisées. Cela garantit que personne ne puisse être pollué en buvant dans un récipient rendu impur par la salive d’une autre personne.
Fin
Sources : Curry, A tale of cooks and conquerors de Lizzie Collingham, 2005 ; Feasts and Fasts – A History of Food in India de Colleen Taylor Sen, 2015 ; Eating India de Chitrita Banerji, 2007
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mercredi, 03 février 2021
La fascinante histoire du thé indien - 3/5
Les Indiens et le thé. Si le thé était la boisson nationale anglaise depuis la fin du 18ème siècle, les Indiens ne buvaient toujours pas de thé eux-mêmes à la fin du 19ème siècle.
Mais ils buvaient quoi alors les Indiens s’ils ne buvaient pas de thé ? Et bien de l’eau ! Les riches musulmans buvaient aussi du café, qui a probablement été amené dans le sud de l’Inde par les marchands arabes avant le 17ème siècle. (Par la suite, le café (filter coffee ou infusion de café obtenue par percolation de poudre de café finement moulue et mélangée à du lait moussé et bouilli à l'infusion) se démocratisa dans cette région et les Anglais ouvrirent la première grosse plantation organisée dans le Karnataka dans les années 1830.) Dans le nord de l’Inde, les villageois buvaient également du lassi et du babeurre (buttermilk), un sous-produit obtenu lors de la fabrication du ghee (beurre clarifié), en barattant le yaourt et en récupérant le liquide. Ils buvaient également des jus de fruits comme le nimbu pani, jus de citron vert mélangé avec de l’eau et du sel et/ou du sucre. S’ils voulaient quelque chose de plus fort, ils buvaient de l’arrack (boisson alcoolisée distillée à partir de la fermentation de fruits, de riz, de canne à sucre, de sève de palmier ou de sève de cocotier) ou du toddy (grog ou cocktail fait d’alcool, d’eau, de miel, d’herbes et d’épices, et servi chaud).
Rural folk sing and dance in an advertisement for Brooke Bond 'Kora Dust', 1920s-1930s. Source
Or, en 1901, l’Indian Tea Association a réalisé que son plus gros marché était en fait sous ses yeux et a étendu sa campagne de marketing au sous-continent avec pourtant peu de résultats jusqu’en 1914. Voici les actions qu’elle a mise en place afin de convaincre les Indiens de boire du thé :
- Emploi d’1 surintendant et de 2 « voyageurs européens intelligents » qui écumaient l’Inde en rendant visite aux épiciers ;
- Livraison de thé liquide dans les bureaux ;
- Au cours de la 1ère guerre mondiale, des étals de thé furent installés dans les usines, les mines de charbon et les filatures de coton où cette boisson sut déduire les ouvriers assoiffés. C’est d’ailleurs pendant la guerre que les propriétaires d’usines prirent conscience des bienfaits obtenus en prenant un peu soin de leurs travailleurs, notamment en leur laissant des pauses-thé – la « cantine de thé » fut établie en 1919 comme « un élément important d’une entreprise industrielle » ;
- Chemin de fer : des vendeurs furent équipés de bouilloires, de tasses et de sachets de thé et postés aux principaux carrefours ferroviaires du Pendjab et du Bengale (garam chai ! Hindu pani ! Muslim pani ! Chaque religion avait son étal de thé, pour des questions de pureté). Ce thé (chai) contenait plus de sucre et de lait (et ensuite des épices) que préconisé par les Européens, mais c’est ainsi qu’il séduisit les Indiens du Nord, et notamment les travailleurs affamés de protéines (1 tasse = 40 calories). Ça ne plut pas vraiment aux Anglais car le thé épicé a tendance à utiliser moins de feuilles de thé mais bon, on ne peut pas gagner sur tous les terrains ;
- Les échoppes de thé se développèrent mais doucement, notamment parce que les femmes refusaient d’y aller ;
- Démonstrateurs de thé : ils choisissaient un quartier dans chaque ville et pendant 4 mois, ils visitaient chaque maison, rue par rue, tous les jours à la même heure, pour montrer comment préparer le thé correctement. Mais il leur fallut gérer une certaine hostilité : contre les démonstrateurs hindous dans les ménages musulmans, contre les non-brahmanes dans les ménages brahmanes (ils finirent d’ailleurs par n’employer que des brahmanes parce ce comme ils sont au sommet de l’échelle castéiste, tout le monde peut manger la nourriture qu’ils cuisinent), contre la présence d’hommes dans des cuisines etc. ;
- Lors de la 2nde guerre mondiale, des fourgons de thé spéciaux ont été mis en place pour ravitailler les troupes indiennes et anglaises.
Àprès plus de 35 ans d'une campagne intensive (!!) la fin de 1936, les villageois indiens étaient habitués au thé. En 1945, même les sans-abri vivant dans les rues de Calcutta buvaient du thé. Mais en 1955, la consommation par habitant en Inde n’était que d’environ 0,23 kilos, contre 4,54 livres en Grande-Bretagne.
En 2016, l’Inde, avec 24% de la production mondiale était derrière la Chine (38%) et devant le Kenya (8,6%) (source). Avec 19% de la consommation mondiale, l’Inde était derrière la Chine (38,6%) (source). Pour autant, elle n’occuperait que la 28ème place du classement mondial de consommation par habitant, avec 0,33 kilos consommés par an (source)
À suivre...
08:00 Publié dans IncredIble India, Pourquoi en Inde... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : inde, thé, chai, masala chai, épices, anglais, colonisation, opium, british east india company, chine, coffee | Imprimer | Facebook |