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lundi, 29 juin 2020

Les arbres et la mousson dans le nord de l'Inde

Après un été relativement clément - à part un pic de chaleur une semaine ici ou là - nous en sommes au moment où les bougies et les crèmes au beurre de karité fondent...

Pour mieux décrire cette situation, j'ai traduit un extrait du livre Train to Pakistan de Khushwant Singh, traduit tant bien que mal par moi-même (l'original ici) :

La mousson est un autre mot pour la pluie. Comme son nom d’origine arabe l’indique, c’est une saison. Il y a une mousson d’été ainsi qu’une mousson d’hiver, mais ce ne sont que les agiles vents du sud-ouest   de l’été qui font un mausem – la saison des pluies. La mousson d’hiver c’est tout simplement de la pluie en hiver. C’est comme une douche froide par un matin glacial. Elle vous laisse froid et frissonnant. Bien qu’elle soit bonne pour les cultures, les gens prient pour qu’elle se termine. Heureusement, elle ne dure pas très longtemps.

La mousson d’été est d’un tout autre genre. La tension monte graduellement au cours des mois précédents, jusqu’à ce qu’on ait vraiment soif. Alors, lorsque les eaux arrivent, elles sont bues goulument et avec délectation. À partir de la fin du mois de février, le soleil commence à devenir plus chaud et le printemps cède la place à l’été. Les fleurs fanent. Ensuite, les arbres à fleurs prennent leur place. D’abord viennent les averses orange de la flamme de la forêt, puis le vermillon de l’arbre corail, et le blanc virginal du frangipanier. Ils sont suivis par le mauve Jacaranda, le flamboyant du gul mohur, et les cascades d’or doux du laburnum. Ensuite, les arbres perdent aussi leurs fleurs. Leurs feuilles tombent. Leurs branches nues s’étendent jusqu’au ciel mendiant de l’eau, mais il n’y a pas d’eau. Le soleil se lève plus tôt qu’avant et lèche les gouttes de rosée avant que la terre fiévreuse ne puisse humidifier ses lèvres. Il s’enflamme toute la journée dans un ciel gris sans nuages, assèche les puits, les ruisseaux et les lacs. Il darde ses rayons sur l’herbe et les buissons épineux jusqu’à ce qu’ils s’enflamment. Les feux se propagent et les jungles sèches brûlent comme du bois d’allumette.

Le soleil continue, jour après jour, d’est en ouest, brûlant sans répit. La terre se craquelle et de profondes fissures ouvrent leurs bouches béantes demandant de l’eau ; mais il n’y a pas d’eau – seulement la brume chatoyante qui, à midi, fait miroiter l’argent des lacs mirage. Les pauvres villageois emmènent leur bétail assoiffé boire et ils tombent raide morts. Les riches portent des lunettes de soleil et se cachent derrière des rideaux en fibres de khus sur lesquels leurs serviteurs versent de l’eau.

Le soleil se fait un allié de la brise. Il chauffe l’air jusqu’à ce qu’il devienne le loo [un vent fort, poussiéreux, chaud et sec de la plaine indo-gangétique dans le Nord de l’Inde], puis l’envoie sur sa trajectoire. Même dans la chaleur intense, les caresses chaudes du loo sont sensuelles et agréables. Il évoque la chaleur piquante. Il produit un engourdissement, la tête se balance et les yeux deviennent lourds de sommeil. Il provoque une crise cardiaque qui prend sa victime aussi doucement que la brise souffle des peluches des plantes de chardon.

Vient ensuite une période de faux espoirs. Le loo tombe. L’air devient immobile. De l’horizon sud, un mur noir commence à avancer. Des centaines de milans et de corbeaux se mettent à voler. Est-ce que ce serait... ? Non, c’est une tempête de poussière. Une poudre fine commence à tomber. Une masse solide de criquets recouvre le soleil. Ils dévorent tout ce qui reste sur les arbres et dans les champs. Puis vient la tempête elle-même. Sous le coup de ses furieux balayages, les portes et les volets claquent, les vitres se brisent. Les toits de chaume et les feuilles de fer ondulées sont emportés dans le ciel comme des morceaux de papier. Les arbres sont déchirés à la racine et tombent en travers les lignes électriques. Les fils enchevêtrés électrocutent les gens et déclenchent des incendies dans les maisons. La tempête transporte les flammes vers d’autres maisons jusqu’à ce qu’il y ait une conflagration. Tout cela se passe en quelques secondes. Avant que vous puissiez dire  Chakravartyrajagopalachari, le coup de vent a disparu. La poussière suspendue dans l’air se dépose sur vos livres, meubles et nourriture ; elle pénètre dans les yeux, les oreilles, la gorge et le nez.

Cela se produit encore et encore jusqu’à ce que les gens perdent tout espoir. Ils sont désillusionnés, abattus, assoiffés et transpirants. La chaleur piquante sur le dos de leur cou est comme du papier émeri. Il y a une autre accalmie. Un silence chaud et pétrifié chaud s’installe. Puis vient l’appel strident et étrange d’un oiseau. Pourquoi a-t-il laissé l’ombre fraîche de son bosquet et est-il sorti sous le soleil ? Les gens regardent avec lassitude le ciel sans vie. Oui, il est là avec son compagnon ! Ils ressemblent à de grands bulbuls noirs et blancs avec des crêtes guillerettes et de longues queues. Ce sont des coucous Jacobins qui sont venus en volant depuis l’Afrique avant la mousson. N’y a-t-il pas une douce brise qui souffle ? Et n’est-ce pas une odeur humide que l’on sent là ? Et le grondement qui a noyé le cri angoissé des oiseaux n’était-il pas le son du tonnerre ? Les gens se dépêchent d’aller les toits pour voir. Le même mur d’ébène monte de l’est. Un troupeau de hérons passe. Il y a un éclair qui souligne la lumière du jour. Le vent remplit les voiles noires des nuages et ils s’enroulent autour du soleil. Une ombre profonde se pose sur la terre. Il y a un autre coup de tonnerre. De grosses gouttes de pluie tombent et s’assèchent dans la poussière. Une odeur parfumée s’élève de la terre. Un autre éclair et un autre coup de tonnerre comme le rugissement d’un tigre affamé. Elle est là ! Des rideaux d’eau, vague après vague. Les gens lèvent leurs visages vers les nuages et s’abandonnent à l’abondance de l’eau. Écoles et bureaux ferment. Tout travail est interrompu. Hommes, femmes et enfants courent dans les rues comme des fous, agitant leurs bras et criant «Ho, Ho», – hosannas au miracle de la mousson.

La mousson n’est pas une pluie ordinaire qui va et qui vient. Une fois qu’elle est arrivée, elle reste pendant deux mois ou plus. Son avènement est accueilli avec joie. Des pique-niques s’organisent et les peaux et noyaux de mangues viennent joncher la campagne. Les femmes et les enfants font des balançoires sur les branches des arbres et passent leur journée à se balancer et à chanter. Les paons ouvrent leur queue et se pavanent devant leurs compagnes ; les bois résonnent de leurs cris stridents.

Mais après quelques jours, la bouffée d’enthousiasme disparait. La terre devient un grand marais boueux. Les puits et les lacs se remplissent et débordent. Dans les villes, les gouttières sont bouchées et les rues deviennent des ruisseaux turbides. Dans les villages, les murs de boue des huttes fondent dans l’eau et les toits de chaume s’affaissement et tombent sur les habitants. Les rivières, qui ne cessent d’augmenter régulièrement à partir du moment où la chaleur de l’été commence à faire fondre les neiges, se transforment soudainement en inondations alors que la mousson passe sur les montagnes. Les routes, les voies ferrées et les ponts disparaissent sous l’eau. Les maisons près des berges sont balayées vers la mer.

Avec la mousson, le tempo de la vie et de la mort s’accélère. Presque du jour au lendemain, l’herbe commence à pousser et les arbres sans feuilles deviennent verts. Les serpents, les mille-pattes et les scorpions naissent à partir de rien. Le sol est jonché de vers de terre, de coccinelles et de petites grenouilles. La nuit, des myriades de papillons de nuit volètent autour des lampes. Ils tombent dans la nourriture et l’eau de tout le monde. Les lézards se gavent d’insectes jusqu’à ce qu’ils deviennent lourds et tombent des plafonds. A l’intérieur des chambres, le bourdonnement des moustiques est exaspérant. Les gens pulvérisent des nuages d’insecticide, et le sol devient une couche de corps et d’ailes se tortillant. Le lendemain soir, il y a encore plus de moustiques qui viennent se brûler dans les flammes.

Tout le temps que dure la mousson, les averses commencent et s’arrêtent sans avertissement. Les nuages se déplacent, laissant tomber leur pluie sur les plaines comme il leur plaît, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’Himalaya. Ils grimpent les flancs des montagnes. Puis le froid en extrait les dernières gouttes d’eau. La foudre et le tonnerre ne cessent jamais. Tout cela se produit à la fin août ou au début de septembre. Ensuite, la saison des pluies fait place à l’automne. 

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Tecoma / Yellow bell tree

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Bottle brush tree

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Jacaranda tree

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Champak tree / Frangipanier

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Laburnum

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Coucou Jacobin

vendredi, 03 avril 2020

Le Covid vu par une Française en Inde - 03.04

  • Nombre de cas en France : 64 338 (5 091 morts)
    • Jour de confinement : 17
  • Nombre de cas en Inde : 2 547 (56 morts) 
    • Jour de confinement à Gurgaon : 12 / National : 10

Rester confiné(e) à la maison comporte des risques pour la santé, la preuve par moi-même. Alors que je me suis réveillée mercredi avec le dos, le cou bloqués et une douleur intense, je me suis demandé d’où ça pouvait bien venir. Et puisque la honte ne tue pas, je t’avouerai avoir googlé « mal de cou symptôme coronovirus ». Jusqu’à ce que, ce matin, mon fils me demande de faire une roulade arrière avec lui. Ça m’a transportée à mardi, quand il avait fait la même requête et que j’avais joyeusement obtempérée. Et que j’étais partie complètement de travers, me tordant sans doute un truc au passage ! Et pourtant je yogue tous les matins, personne n’est à l’abri d’un accident… Attention au tour de rein en passant l’aspirateur ! Sinon je tiens bon, je résiste, je refuse encore de l’accompagner dans ses appuis renversés. En espérant que de rester penchée sur un puzzle ne me réserve pas de surprise…

En attendant, nous toussons tous grassement à la maison mais sans fièvre ni autre symptômesymptôme – en même temps, rien de très anormal pour tout bon Indien qui se respecte : nous sommes en plein de changement de saison avec l’été qui s’installe. Nous buvons tellement d’infusions d’inspiration ayurvédique que mon urine sent le gingembre, le citron et le miel ! Heureusement qu'on a arrêté l'ail assez vite...

Notre voisin italien a peint un arc-en-ciel et un message :

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Quand je l’ai traduit à mon fils, « Tout ira bien », il m’a dit mais pourquoi il a mis ça, on veut pas que ça finisse le confinement ! Je suis rassurée, il le vit bien…

Comme les rues de Mumbai d’ailleurs, avec cette très belle vidéo dronienne :

Vidéo qui te fait te demander : mais ils sont où tous les gens ? Et là, dans les bidonvilles, c’est tout de suite moins bucolique. À la limite, tu te dis que les gens sur les routes sont pas forcément les moins bien lotis et tu comprends mieux pourquoi ils rentrent chez eux à la campagne où, même si ce n’est pas le grand luxe, ils pourront respirer, inch’allah. (D’ailleurs, on vient de détecter 3 cas et 1 mort à Dharavi, le plus grand bidonville d’Asie avec plus d’un million d’habitants.) : (regarder à partir de la minute 13) :

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jeudi, 02 avril 2020

Témoignage de rapatriement - Le Covid vu par une Française en Inde - 02.04

  • Nombre de cas en France : 52 128 (3 523 morts)
    • Jour de confinement : 16
  • Nombre de cas en Inde : 2 069 (50 morts)  
    • Jour de confinement à Gurgaon : 11 / National : 9

Pendant que je torticole à jeun – ça y est, je suis rentrée dans le collimateur de mon Indien préféré et je n'ai droit qu'à des jus, des infusions et des soupes –, que je regarde les tomates rougir et qu’entre deux coups de fil pros je fais faire les vitres à Samourai Junior, je voudrais partager le témoignage d’Aurélie. Aurélie est Française, mariée à un Indien et très liée à l’Inde où elle a une ONG. Je l'ai rencontrée via les réseaux sociaux, et hébergée un soir à Gurgaon, une belle rencontre. Et voilà qu’elle vient d’être rapatriée du Rajasthan à Paris (dimanche dernier). (L’ambassade de France est mobilisée à 200% à cette entreprise de taille vu que les transports inter-États sont interdits et que les avions ne partent que de 2-3 villes. Ils ont en plus du fil à retordre avec les hippies français dans leurs ashrams de Rishikesh et de Goa ne veulent pas rentrer au bercail, ou alors gratuitement, dixit un ami de l'ambassade. (Pour l’instant, il est recommandé aux résidents français en Inde de rester, sauf urgence médicale.))

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Je lui laisse le clavier :

« Ma petite Inde.

Aujourd'hui se termine mon dernier aller qui m'emmènera chez moi.

Il y a quelques jours j'ai dû te quitter.

J'ai dû te quitter d'une façon si brutale, si différente, si difficile.

Alors il était important pour moi de raconter l'histoire. J'ai attendu avant d'écrire. J'ai attendu parce que j'étais en colère j'étais en colère mais pour parler de toi, je voulais le faire avec le cœur.

Samedi, je quittais la maison, précipitamment. Des aurevoirs trop rapides, trop succincts. Tant de choses à dire, à faire, mais il faut partir.

Devant la maison, un bus.

9 étrangers que l'ambassade tente d'extraire. Je prends ce bus, un dernier Namaste et déjà les kilomètres me séparent de ma vie paisible chez toi.

Sur la route une Inde vide. Une Inde confinée. Je te découvre vide de toi mon Inde. Tes couleurs sont cachées, ta vie s'est arrêtée, tes sourires sont oubliés. Il n'y a plus l'odeur des épices dans tes rues, je n'aperçois plus la fumée de ton chai tout juste préparé.

Tu es confinée. Comme le reste du monde, apeurée.

Les kilomètres se poursuivent. Nous voilà à Jaipur.

Malgré les efforts incessants de l'ambassade pour nous mettre en sécurité. Plus d'hôtel. La nuit est tombée déjà. On patiente. Il faut trouver où loger. Un ami indien nous propose de venir chez son oncle pour la nuit. Une nuit c'est tout ce qu'on voulait avant de partir pour Delhi.

Et là, mon Inde, j'ai pleuré. Parce que rien ne s'est déroulé comme nous l'avions imaginé. J'ai pleuré parce que les voisins criaient. Les voisins nous demandaient de partir. J'ai pleuré parce que j'étais humiliée. J'ai pleuré parce que la police nous a demandé de partir. J'ai pleuré parce que notre couleur nourrissait leur peur. J'ai pleuré parce que chez toi mon Inde, je me suis sentie rejetée.

Alors j'ai pleuré. Je t'en ai voulu. J'ai été en colère.

Est-ce ça L'inde ? Rejeter celui qui t'a tant aimé. Rejeter celui qui t'est fidèle depuis des années.

Rejeter la différence,

l'humanité,

l'autre,

l'étranger.

Depuis 10 ans déjà, c'est chez toi que je me sentais chez moi. Alors que t'est-il arrivé...

Puis ma colère s'en est allée. Mes larmes ont séché.

J'ai pris le temps. Le temps de comprendre. D'analyser. D'accepter ce qui c'était passé.

Et ma petite Inde, aujourd'hui c'est à toi que je demande pardon.

Je demande pardon pour t'en avoir voulu. Je demande pardon pour avoir généralisé la bêtise et la peur d'un groupe.

Parce que la réalité ma petite Inde, c'est que dans ce périple, tu n'as jamais cessé d'être là. Cet appartement où nous avons été chassés était celui d'un enfant du pays, ce chauffeur qui nous a conduit vers Jaipur était un enfant du pays, cette guesthouse où nous nous sommes finalement réfugiés, c'est encore le sourire d'un indien qui nous accueillait.

Parce que c'est chez toi ma petite Inde, qu'à tous les coins de rues, se cachaient des mains indiennes pour nous aider, des sourires pour nous rassurer, de l'aide pour nous accompagner.

Je te demande pardon ma petite Inde parce que grâce à toi et notre ambassade, nous avons pu rentrer avant la tempête. Ce n'était pas nous que tu bloquais dans ta rue, c'est le virus que tu redoutais. Ce n'est pas à nous que tu fermais tes routes, c'était à tout mouvement.

Oui ma petite Inde, un petit groupe s'est perdu dans sa bêtise mais toi tu étais là. Encore là. À nous demander de partir parce qu'il le faut pour nous. Tu nous as demandé de rentrer mais tu as aussi demandé à tes propres enfants qui vivent loin de toi de ne pas revenir. Tu te prépares à la tempête mon Inde. Tu as tellement à gérer. Tellement à faire. Tellement de choses peuvent se passer prochainement. 

Ce virus mon inde, mais aussi les catastrophes de ce confinement sur toi ma petite Inde.

Alors pardon, pardonne moi d'avoir douté de toi.

Pardonne moi d'avoir égoïstement pleuré ma peine de te quitter quand toi tu as tout ton pays à sauver.

Merci d'être toi mon Inde, merci de nous avoir accompagné jusqu'au dernier instant. Merci pour ton aide. Merci pour tes derniers sourires, merci pour tes derniers efforts.

Je prierai pour toi, car le plus dur reste encore devant toi.

Ma petite Inde, je reviendrai.

Je t'aime et je reviendrai.

Car c'est chez toi que je me sentirai toujours chez moi. »

[Aurélie Auffray]

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