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lundi, 24 avril 2017

Au nom du père, de la belle-mère et de l'enfant roi: L'Education à l'indienne (vue par une étrangère)

On m’a demandé (c’est le début de la gloire !) de parler de l’ ‘éducation à l’indienne’. Vaste sujet ! Je me suis penchée sur la question pendant plusieurs semaines, en me cantonnant à la société que je connais et en espérant ne pas écrire trop de bêtises – difficile vu qu’en Inde on peut tout dire, le contraire est presque toujours vrai également…

inde,éducation,parenting,respect,règles,amour,efants,parentsJe me suis déjà pas mal épanchée sur l’expérience que peut être d’avoir un bébé en Inde (1). Pour faire bref, si on reprend au début, il faut savoir que la belle-mère, souvent présente à l’accouchement, est la première à tenir le nouveau-né (avant la mère oui oui). La belle-sœur doit ensuite opérer un rituel – nettoyer les tétons de la mère pour les purifier et donner au nouveau-né un mélange à base de miel (jatakarma) pour qu’il soit tout doux comme un bonbon – avant que cette dernière puisse allaiter. Le ton est donc donné dès le début : le ‘parenting’ à l’indienne c’est un plutôt du ‘familying’ ou l’affaire de tout le monde, voire surtout de la belle-mère ( ;) ), ce qui peut heurter une sensibilité occidentale de mère responsable qui a ses propres vues sur ce qu’elle veut ou ne veut pas pour son enfant. Surtout si elle a épousé un Indien et doit se plier aux rites comme la cérémonie du nom ou la boule à zéro (2).

Le fils indien est élevé, dans la tradition, pour ne jamais quitter le berceau familial, ses parents ; en ce sens il est et restera un ‘enfant roi’ toute sa vie, assisté jusqu’au bout des ongles en tout ce qui consiste la tenue du ménage – ça en fait même des mecs qui ne savent pas à quoi ressemblent une papaye autrement qu’en morceaux dans leur assiette, c’est dire. C’est à la mère, dont il ne quittera jamais les jupons sauf pour quelques incartades vers ceux de sa femme, puis à cette dernière qu’incombent ces tâches. La fille indienne est élevée pour être une bonne (obéissante) belle-fille (bonniche) et surtout une mère de famille (elle n’aura réalisé sa raison d’être et acquis son droit à être sur cette Terre que quand elle aura enfanté et c’est apparemment pour ça qu’on trouve en Inde les plus vieilles femmes primipares (3) ) ; elle ne quittera probablement son foyer que pour celui de son mari et il y a de bonnes chances qu’on ne l’autorise pas à travailler, même si elle a fait des études supérieures (ça change, mais à l’allure escargot). On lui apprend le respect, l’obéissance, le renoncement à soi et à surtout ravaler ses sentiments. Si par malheur une tragédie comme une fausse-couche arrive, « rien de sert de pleurer il faut oublier et aller de l’avant ». Faire le deuil, vivre ses émotions, et puis quoi encore ? C’est exprimé un peu abruptement mais c’est encore bien comme ça.

Mais revenons à cette notion d’enfant roi. Les parents français aiment leurs enfants, mais essayent de limiter le bouleversement que leur arrivée implique, autrement dit de ne pas sacrifier (toute) leur vie à l’autel de celle de leur marmaille. Par exemple l’’intimité’ du couple garde son importance et guide l’organisation du couchage. Quels Occidentaux (à part les Bobos qui remettent à la mode le ‘co-dodo’) ne s’horrifieraient pas à l’idée que les enfants dorment avec les parents ?! Jusqu’à 4 ans au moins ! Je me souviens avoir été choquée de ne pas trouver de chambre d’enfant (ni pour dormir ni pour jouer) chez un collègue indien qui avait pourtant deux pièces à coucher dans son appartement. En Inde, non seulement les enfants dorment dans le même lit que leurs géniteurs, mais également aux mêmes heures. Evoque des « horaires fixes de coucher et de repas » et on te regarde comme un monstre. Ici l’enfant vit au rythme de la maisonnée dès ses premières heures et immédiatement le monde se met à tourner autour de lui. C’est qu’intrinsèquement, le couple a peu d’importance en Inde, perdu dans le concept plus global de la famille (des beaux-parents, des enfants, des cousins, tout ça doit vivre en harmonie, et le couple (en général un couple de raison et non d’amour) doit faire les efforts qu’il faut pour ça). Dans beaucoup de sociétés occidentales, le couple est fondateur, et on conçoit même que le bonheur des enfants passe d’abord par celui du couple parental – dans notre Occident individualiste le bonheur passe par la réalisation de soi, en Inde par celui de l’accomplissement de son devoir, et TOUTE la différence est là. Pas de honte donc à partir en vacances sans son tout-petit, ce qui ne traverserait pas l’esprit d’un Indien (en plus du fait que la notion de ‘vacances’ est somme toute assez nouvelle et se limite en règle générale à rendre visite à de la famille et non pas d’aller se dorer la pilule sur la plage ou randonner dans les montagnes (sauf s’il y a un temple à voir)). On emmène également de tout jeunes enfants au cinéma voir des films d’adulte et des spectacles mettant en scène une mythologie pleine de monstres, ou on les traîne même dans les bars. Et pour finir, on ne le laisse pas pleurer les petits, c’est péché. Apparemment il serait pourtant bénéfique de les laisser exprimer leurs sentiments, que ce soit de la colère ou de la tristesse, mais ça choque trop les sensibilités.

inde,éducation,parenting,respect,règles,amour,efants,parentsLe parent indien couve son petit ; ce qui ne veut pourtant pas dire qu’il l’arme pour survivre dans ce monde de brutes, à devenir indépendant, un individu à part entière ; l’individualité n’occupe en effet qu’une place bien modeste dans la structure familiale indienne. Le nouveau-né est une ‘chose’ qui passe de bras en bras, qui ‘appartient’ un peu à tout le monde, un prolongement de ses parents auquel on ne prête pas vraiment de personnalité propre, encore moins une que l’on respecte. (Je passe pour une illuminée quand j’offre à mon fils de deux ans de choisir ses vêtements lui-même.) La couvaison est plutôt du genre physique, avec des mères terriblement à l’écoute de leur petit : petits qu’elles allaitent très tard, qu’elles massent quotidiennement, qu’elles portent tout le temps. En Inde nous sommes dans une vraie culture du toucher, versus un environnement Occidental plus porté sur le parler avec des enfants qu’on laisse très longtemps allongé seul avec leurs mobiles, des enfants auxquels des mères cherchent à enseigner très très tôt à ne pas être trop ‘attachés’ car la séparation va venir vite. Bref, la mère indienne arrive même dès les premiers mois à détecter quand il va poser une pêche et arrive ainsi à le rendre ‘propre’ presque avant que ses sphincters ne soient suffisamment développés. Une méthode consiste à se balader derrière le gosse avec du papier journal, et le lui glisser sous les fesses dès qu’on repère les signes d’une défécation imminente. Si ça rate, y a plus qu’à ramasser le tout avec la feuille. Une technique complémentaire offre de laisser le bébé sans couche jouer au bac à sable et laisser sécher la pisse quand ça coule dans le pantalon – je trouve ça risqué l’hiver mais bon – apparemment les enfants apprennent vite dans ces cas-là et puis l’économie de couches soulage tout le monde : le porte-monnaie et la planète.

Quand les mères françaises vont au parc, on les trouve en général assise sur un banc à papoter pendant que la marmaille s’ébat à sa guise ; et ça me fascine. Les mères indiennes, si elles allaient au parc au lieu d’y envoyer la nounou, passeraient leur temps à courir derrière leur gosse. Un peu comme moi donc. Enfin, le comble c’est quand même ce directeur d’une chaîne de magasins pour enfants qui me vantait les mérites d’une innovation qui devrait faire un tabac en Inde : un casque pour protéger l’arrière du crâne quand les bambins tombent, parce que « tu n’imagines pas le nombre de mères qui passent leur journée à courir derrière leur progéniture avec un oreiller pour éviter qu’elle ne se blesse en apprenant à marcher » !! Si c’est pas de la couvaison dans les règles de l’art ça… (ceci-dit je n’ai personnellement jamais été témoin de ce genre de comportement).

Et la bouffe ! Le nerf de la guerre, me direz-vous. Nourrir un enfant en France semble assez simple : on le met à table, il mange tant mieux, il mange pas tant pis, il aura son plat réchauffé au dîner. Nourrir un enfant en Inde, c’est juste l’inverse : parents et grand-parents passent leur journée à enfourner qui un bout de chapati qui un morceau de sucre dans le goulot du petit, en général occupé à autre chose. Rien d’étonnant à ce que les adultes indiens soient les champions du grignotage (et c’est souvent pas des fruits qu’ils boulottent mais plutôt des trucs fris bien gras) ! Et puis à chaque visite, les premiers commentaires portent sur le poids de l’enfant – à savoir qu’en général plus il est gros mieux c’est, où « dodu » signifie « en bonne santé ».

C’est donc un peu tout ça, l’enfant roi : celui qu’on ne laisse pas pleurer, à qui on donne la becquée à longueur de temps. Sauf que l’enfant roi il se prend bien vite la réalité en pleine face et c’est d’autant pluinde,éducation,parenting,respect,règles,amour,efants,parentss dur quand il a été habitué à tout autre chose pendant ses tendres années : quand toutes ses mignonneries ne sont plus de son âge, il a intérêt à grandir fissa. Par exemple, quand je racontais que mon fils venait d’appeler son père par son prénom pour la première fois et que je trouvais ça trop chou, on m’a expliqué qu’à deux ans ça fait rire tout le monde et qu’à cinq il se prendrait une baffe. Ils ont la main assez lourde les Indiens, les claques pleuvent et même les instituteurs n’y vont pas avec le dos de la cuillère – bref, la France il y a quelques décennies. Faut dire aussi qu’en Inde, le ‘respect’ des plus âgé est sacré. L’enfant est roi mais pas dieu non plus ! Il est donc de très mauvais goût de remettre en question ses parents, pire de leur désobéir (surtout sur des sujets à peine primordiaux comme les études, la carrière et le mariage, là point de discussion) – c’est presque inconcevable pour un Occidental habitué à contester tout et tout le temps et avec tout le monde. Le dialogue est donc parfois difficile, en plus du fait que certains sujets sont complètement tabous, comme la sexualité (et ses abus), l’alcool, les drogues etc. Bref on passe sous silence pas mal de discussions fondamentales et sensibles, parce qu’ « ici on ne parle pas de ces choses-là ». Il est d’ailleurs assez intéressant de constater que vivre ensemble à beaucoup ne signifie pas vraiment communiquer mieux, au contraire. Les Indiens, qui sont pourtant de grands émotifs, expriment peu leurs sentiments, il faut savoir lire entre les lignes. C’est ainsi que les langues indiennes n’ont pas vraiment de mot pour exprimer l’amour, l’amour de parent, ou d’enfant, ni même de partenaire. Selon une personne proche, l’amour s’exprime en Inde non par les mots mais par les gestes, « comme préparer un plat préféré ». Et on revient encore à la bouffe c’est dingue !! (J’aurais bien rétorqué qu’en Europe il faut les mots ET les gestes – c’est tout un job d’’entretenir’ l’amour – mais à quoi bon.) Bref on ne se dit pas je t’aime, on vit rarement une histoire d’amour délirante, et c’est sans doute pour ça que Bollywood fait souvent dans la guimauve : ça envoie du rêve (ou plutôt du fantsme) !

Et pour conclure sur l’enfainde,éducation,parenting,respect,règles,amour,efants,parentsnt roi, le moment où il commence à réaliser que la vie c’est pas que du gâteau c’est quand la scolarisation démarre. Ça peut donc commencer tôt. En Europe on a dû développer des crèches pour que les mères puissent travailler et on a fini par se mettre du baume au cœur en se convainquant que c’est un choix (alors qu’en fait non, c’est une nécessité), et que c’est mieux pour les enfants de ne pas être à la maison dès leur plus jeune âge – ce que je crois n’être pas tout à fait vrai. Alors en Inde, malgré bon nombre de femmes au foyer, entourées par toute la belle-famille et soutenues par la nounou, de plus en plus d’entre elles se dépêchent de mettre leur rejeton à l’école, « pour qu’il se développe plus vite ». Une explication qui me fait bondir à chaque fois, une réponse systématique quand je demande pourquoi à une mère qui insiste pour que je mette mon fils depuis ses douze mois à l’école. Mais pourquoi faut-il toujours aller plus vite que la musique ?? Surtout qu’une fois qu’ils sont dans le système, les enfants subissent une pression incroyable car la compétition est rude et les places sont chères : beaucoup de jeunes et une classe pauvre prête à se battre pour s’en sortir (et c’est juste 70% de la population), pas assez de bonnes institutions et des quotas pour les basses castes, pas d’assurance chômage ni de retraite etc. Bref si t’as pas la gnack ou tes parents de la thune, t’es mort. L’enseignement est donc tout un business, un véritable ‘investissement’ dont on attend un retour et qui ne s’arrête pas à l’école laquelle peut coûter des fortunes : les gosses passent presque autant de temps (et les parents dépensent presque autant d’argent) pour les cours de soutien ! Et la nouvelle tendance c’est les activités extra-scolaires : les jeunes doivent cartonner en cours, au tennis et à la guitare. Pas beaucoup de répit…

Bref chaque parent fait de son mieux pas vrai ?! Mais en Inde où la société évolue vite et intègre beaucoup de concepts occidentaux en conflit avec un système de valeurs et de traditions à la peau dure, il y a de quoi s’y perdre quand on a un enfant à élever !
 

(1) http://www.indiansamourai.com/list/mes-docs/bebe-samourai-made-in-india.html et http://www.indiansamourai.com/list/mes-docs/bebes-made-in-india.html

(2) http://www.bbc.co.uk/religion/religions/hinduism/ritesrituals/baby.shtml

(3) http://www.dailymail.co.uk/health/article-3582592/Indian-woman-70-gives-birth-baby.html

Commentaires

Portrait assez dur, mais hélas je suis bien d'accord...

Moi je trouve que beaucoup de petits urbains sont peu élevés par leurs parents qui rentrent tard du taf. Ils sont gardés par une maid après l'école à la maison, et passent leurs temps sur les réseaux sociaux à combler leur solitude... Je trouve que beaucoup de ces petits indiens planqués dans leurs tours
en train de grignoter des chips derrière leurs écrans ont des vies bien tristes par rapport aux gosses des campagnes : vie sédentaire et addiction sans modération aux écrans... Les parents sont finalement peu présents dans leur vie à cause des horaires de boulot, des bouchons et de leurs priorités carriéristes. Les grands-parents peuvent prendre le relais s'ils habitent chez eux mais ce n'est pas l'idéal.

Les gosses de campagne eux, une fois la journée d'école finie, sortent dans la rue jouer au cricket ou rigoler avec les potes... Une vie un peu plus saine quand même.

Je trouve parfois la société "moderne" indienne assez inquiétante lorsque je vois comment ils élèvent leurs enfants !

Écrit par : Moushette | lundi, 24 avril 2017

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Article passionnant. C'est toujours un plaisir de te lire !
Banzai !

Écrit par : Charlie | mardi, 25 avril 2017

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Bel article, beaucoup de vrai et on sent le vécu... Attendons que tu aies une fille ! Ce sera une autre paire de manche...
Toutefois, je remplacerai la notion de "respect" que tu évoques de temps en temps par "Soumission". A ma connaissance, le principe de respect n'existe pas en inde.

Autre point, la société indienne n’intègre aucun "concept" occidental, ils réadaptent (saccagent) à leur guise et selon leur besoins (souvent très matérialiste), des méthodes, des techniques et activités HORS de leurs concepts justement. Si bien que la méthode Montessori, pour prendre un exemple répandue en inde n'a aucune substance...

Pour continuer, Je ne pense pas que nous soyons dans une culture du toucher en Inde. On est en effet dans une culture non verbale avec un affichage ostensible des expressions, genre bouffe, ou tenue vestimentaire ou démonstration et étalage de ses connaissances, diplômes, biens etc...
Tu as déjà vu fréquemment les gens embrasser, faire Un câlin, une papouille à un enfant de plus d'un an, etc...? En inde ce ne sont pas les enfants qui tiennent La main aux parents, c'est l'inverse...
Pour terminer je dirais que LES sociétés indiennes sont ultra individualistes, bien plus qu'en France. Chaque "Service rendu" est toujours intéresse", Accomplissement du devoir dont tu parles c'est toujours au détriment des autres car elle ne tient rarement compte des droits...

Écrit par : Albert | mardi, 25 avril 2017

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Merci Albert!
Disons que j'essayais de pas en faire des caisses non plus ;)
Je suis d'accord avec ce que tu dis.
Je parlais de la culture du toucher du jeune enfant et je maintiens, avec les massages et tout. À l'âge adulte y a les tripotes entre hommes adultes qui pour moi traduit ce besoin du toucher qui n'est plus autorisé entre membres de la famille passé un certain âge...
Sur l'individualisme j'ai pas mal réfléchi à la question. J'associe personnellement ce concept a une réalisation du soi plutôt que de penser qu'à sa tronche - auquel c'est sur que les Indiens nous battent à plate couture (ce qui transparaît le plus visiblement dans leur manière de conduire!) J'avais essayé de toucher à ça dans un autre post http://www.indiansamourai.com/archive/2014/01/18/faire-la-queue-mais-quelle-queue-5272278.html
Cordialement

Écrit par : Indiansamourai | mardi, 25 avril 2017

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Merci pour ce bel article qui tombe à un moment où un mariage s'envisage ;)
De plus, même si je ne viens que quelques mois par an an Inde pour le moment, je dirige une petite école en Inde (Bodhgaya Bihar) et découvre peu à peu les usages...
Merci
Arnaud

Écrit par : Arnaud | samedi, 29 avril 2017

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ça faisait longtemps que je n'avais pas commenté... Cela fait presque dix ans que je suis ton blog, un peu moins fréquemment ces derniers temps, mais j'aime toujours autant ton franc parler et ton sens de l'observation sur la société indienne.

Le commentaire de Albert est intéressant. Je trouve effectivement que les Indiens sont beaucoup plus individualistes que nous, mais d'un façon différente. Cela est toujours perçu comme provocation quand je le dis, notamment de la part des Indiens. En fait, il s'agit d'un individualisme en cercles concentriques. Je pense qu'un Indien se préoccupe avant tout de lui en tant que fils de, frère de, donc, il y a un individualisme de groupe. Les devoirs sont envers la famille au sens large, puis envers sa caste, sa communauté. Et effectivement, il y a souvent une idée d'intéressement. Je défends mon groupe, l'honneur de ma famille parce que ça retombe sur moi sinon. Je nierai mes sentiments pour faire un mariage qui honore ma famille, mais c'est aussi parce que je pense que cela aura des avantages ! ma mère sera contente, mon promis gagne bien sa vie... Et j'empêcherai aussi ma sœur de vivre son amour pour pas qu'elle me fiche la honte et que j'en subisse les conséquences. Mais sorti de ce jeu de cercles, je déplore le manque de sens civique. Il suffit de voir les routes quand passe une ambulance, ou la façon dont les parties communes sont entretenues ou les (non) files d'attentes. C'est une des choses que je vivais le plus mal en Inde quand j'y habitais.

Concernant l'amour, je n'ai pas trop saisi. Il y a effectivement ce paradoxe très étrange entre filmographie et poésie foisonnante sur l'amour, et le mépris de l'amour dans la vraie vie, la célébration du divin amour adultère de Radha et Krishna , et par ailleurs la condamnation de celui-ci chez les mortels. Je trouve cette dualité très étrange, et très schizophrénique...

Néanmoins, si Les Indiens expriment peut-être peu l'amour dans la vraie vie, et surtout on ne le montre pas en public (le honni PDA ^^) le hindi a un lexique de l'amour incroyable! Je n'ai qu'un niveau modeste en hindi, mais entre ishq, mohabbat, pyar, prem, preeti, ... les mots ne manquent pas, chacun ayant une nuance entre amour passionné, amour tendre, amour familial amour pur... idem pour les mots pour désigner l'être bien-aimé : pritam, sanam, jaan, mehbooba ... la langue française pâlit en comparaison, et je n'ai jamais entendu de textes français chantant l'amour aussi bien que les chansons ou poésies hindi/ourdou. Ils en expriment les nuances d'une façon remarquable, notamment dans les textes d'inspiration soufi ... :)

Écrit par : Carole | jeudi, 25 mai 2017

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D'ailleurs, je pense qu'une chanson de film célébrissime parle très bien de l'amour filial, notamment mère-fils... Je sais que cette chanson résonne dans le cœur de beaucoup d'Indiens que j'ai rencontrés. En tous cas, tous m'ont dit s'y reconnaître. Je me rappelle notamment d'un garçon vivant en France qui m'avait dit avoir pris le premier billet d'avion disponible pour rentrer en Inde voir sa famille, bouleversé après avoir vu le film.

https://www.youtube.com/watch?v=2wn3RHVpfxE

La mère y dit quand même que son fils ..ou son mari ?(alias "son Dieu" d'ailleurs dans le fim) est sa vie, qu'il est dans chacune de ses respirations, qu'elle le garde dans le battement de ses cils, ses yeux, où qu'elle soit, aussi loin soient-ils l'un de l'autre.. qu'elle est son ombre, qu'elle le prie même... La mélodie est ensuite reprise pour parler de l'amour entre frères... Le fils dit à son frère qu'il est son corps et lui son âme...

Le flou est intéressant... peu importe je pense, que ce soit de la mère au fils ou à son mari, du fils à son frère, il est question avant tout de la famille comme une et indivisible. J'ai beau n'avoir aucun lien avec ma famille, ces textes me touchent beaucoup, les mots et textes sont très forts! A-t-on une telle équivalence en France, avec de plus, cette coloration spirituelle ?

Il me semble que dans toute l'Asie, le respect et la déférence aux parents, aux aînés est fondamentale (je pense notamment au confucianisme) mais je pense qu'il n'y a qu'en Inde (enfin, le sous-continent) que la filiation est exprimée de façon si émotionnelle. Je n'ai malheureusement pas voyagé en Chine ou au Japon, mais si me fie aux films (je pense à 'Tel père tel fils" de Kore Eda par exemple, ou aux films de Naruse comme "Ani imoto/grand frère petite soeur'), il n'y a pas cette émotivité et cette expressivité dans l'expression de l'amour, familial comme entre amants. Au contraire, il y a de la beauté, mais aussi beaucoup de souffrance dans les non-dits..

Merci encore pour tes très beaux articles plein d'humour, j'espère pouvoir continuer à te lire :)

Écrit par : Carole | jeudi, 25 mai 2017

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Merci Carole!

Je devrais peut-être creuser le sujet alors ;)
Ma remarque concernait l'expression de l'amour plutôt que le ressenti lui-même.
Ils sont certes très forts pour chanter l'amour, le mettre en scène etc.

En Hindi (à ma connaissance), on dit je t'aime comme ca "mai tumse pyaar karta hu" (si on est un homme). Or quand je trimballais des cartons dans mon entrepôt on me disait "pyaar se" ("attention" ou plus littéralement avec "soin"). Du coup "pyaar" a pris une autre connotation pour moi...

Dans ma belle-famille (et je devrais peut-être poser la question plus largement), on ne se dit pas 'je t'aime' de parents à enfants et mon mari pense que ca ne se dit tout simplement pas, genre y a pas de mots pour exprimer ca. Y a pas de petit surnom doux de la femme à l'époux, il faut garder un surnom 'respectueux'.

Quand j'ai demandé à mon mari si sa mère aimait son père (au sens romantique) il n'a pas su me répondre. Il a fini par me dire qu'un jour elle avait dit que son mari était toute sa vie, elle ne vivait que pour lui (s'assurer qu'il mange bien et que les enfants le laissent tranquille) et ses enfants. Beaucoup de femmes se 'sacrifient' ainsi. Mais au nom de l'amour ou du devoir? Je me demande...

Je ne peux pas m'empêcher de trouver la relation mère-fils un peu dysfonctionnelle ici (ou en tout cas particulière). Selon un certain dicton "la femme indienne ne peut pas épouser son homme idéal alors elle le fait". La mère vit souvent pour son fils, et en contre-partie elle a aussi des attentes très importantes. Comme le fils n'est pas élevé pour vivre loin de sa mère, elle sait se rendre indispensable pour la plupart des choix de son rejeton et la relation prend aussi une autre dimension. C'est très personnel, mais je pense que c'est une vision un peu 'unique' de l'amour filial.

Bref, ceci n'est que mon opinion et je vais creuser!!

Écrit par : Indiansamourai | vendredi, 26 mai 2017

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Pour repondre a votre question "Quels Occidentaux (à part les Bobos qui remettent à la mode le ‘co-dodo’) ne s’horrifieraient pas à l’idée que les enfants dorment avec les parents ?! "

Je reponds : moi, ainsi que mes parents (qui nous ont garde dans la chambre jusqu'a 1 an) et mes amies francaises qui le pratiquent ainsi que plusieurs mamans et futures mamans francaise sur mon groupe. Meme en France le cododo est de plus en plus pratique, il y a moult articles tres interessants dessus. Est ce que ca fait de nous toutes des bobos, le nouveau mot a la mode ? Bah ma foi ^^ :-)

Écrit par : Ophelie | samedi, 03 juin 2017

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Hello!
Je provoque un peu ;) mais souvent je me moque de moi-même plus que des autres. Dans mes autres articles j'explique comment j'ai été bien perdue entre les deux cultures du dormage de bébé.
Si tu pousses la recherche tout vient de la mort subite du nourrisson et des pratiques d'allaitement. Et en France c'est un fait les femmes allaitent peu même si ça change. Un article du monde parlait des femmes "bobos" qui allaitent. J'ai repris le truc.
http://www.indiansamourai.com/tag/faire+ses+nuits

Écrit par : Indiansamourai | samedi, 03 juin 2017

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